Avant-propos.

Comme pour beaucoup de villes importantes situées sur les frontières du nord et de l'est, les hauteurs dominant Grenoble sont occupées par des forts qui en assuraient la défense.

Citadelles oubliées d'un désert de tartares aux portes de la ville, les forts de Grenoble, qui attendirent en vain d'accomplir les missions pour lesquelles ils avaient été construits, furent édifiés à la fin du XIXème siècle. Ils assuraient la continuité défensive des enceintes bastionnées qui avaient protégé la ville durant trois siècles et appartenaient à un système général cohérent issu d'une évolution de l'armement qui remettait en cause les préceptes de défense acquis jusqu'à ce moment là. Confirmant une fois encore, l'éternelle lutte entre l'épée et le bouclier. Ce changement tactique fondamental était la conséquence de l'évolution des techniques d'armement qui avaient trouvé un point d'orgue, provisoire, avec l'apparition au cours de la décennie commencée en 1850 du canon rayé.

L'évolution des techniques.

Après plusieurs siècles au cours desquels l'évolution de l'armement ne porta que sur des changements mineurs, c'est au milieu du dix neuvième siècle qu'une amélioration particulièrement importante de l'armement va modifier totalement l'aspect des systèmes défensifs. Au cours de la décennie commencée en 1850 apparaît le canon rayé qui augmente la vitesse, la précision et la portée des projectiles : 6 km au lieu de quelques centaines de mètres peu d'années auparavant.

Autant de nouvelles données qui rendent obsolètes les fortifications bastionnées, dont les préceptes datent bientôt de trois siècles, que pourtant l'on construisait encore dans les années 1840 et pour lesquelles subsistaient encore à ce moment là de nombreux partisans.

Des précurseurs.

Les arguments qui pouvaient être opposés aux tenants de la fortification bastionnée étaient pourtant nombreux et avaient déjà eu un siècle plus tôt un partisan de choix puisqu'il s'agissait du Marquis de Montalembert - 1714 - 1800. Deux orientations essentielles permettent de se faire une idée des divergences :

La première est de considérer que le point faible de la place bastionnée est dûe à la position de l'artillerie, qui mise en batterie à l'air libre sur des bastions, peut être facilement détruite. Afin d'y remédier, Montalembert, prenant exemple sur les travaux que Dürer - 1471 - 1528 - plus connu comme peintre et graveur que pour ses talents de fortificateur, auteur pourtant de remarquables "instructions sur la fortification des villes, bourgs et châteaux" publiées en 1527 à Nuremberg, envisage après avoir critiqué les systèmes de Vauban, la fortification "perpendiculaire" faisant face à l'ennemi par la construction d'enceintes au tracé polygonal comprenant des ouvrages casematés ventilés dans lesquels sera dissimulée l'artillerie.

Pour la seconde, certainement la plus contestée par les officiers du Génie, Montalembert envisage les progrès que pourrait faire l'artillerie et préconise de construire des ensembles fortifiés à l'extérieur des villes, en barrant les voies d'accès, d'ouvrages dont les feux s'épauleraient.



Reproduction des ouvrages de défense proposés par Albert Dürer dans "l'instruction sur la fortification des villes, des bourgs et des châteaux" paru en 1527 à Nuremberg et réédité en 1870 à la suite d'une traduction historique et critique de A. Ratheau, chef de bataillon du Génie.

Les dessins représentent l'élévation des façades et une coupe d'un "tourrion" que Dürer proposait d'édifier en périphérie des villes pour les protéger. On ne peut s'empêcher de rapprocher ces vues en élévation, aussi bien pour l'extérieur que pour les coupes intérieures, des forts édifiés au XIXème siècle.


Ces innovations, provenant d'un officier ayant choisi comme arme l'artillerie n'eurent pas l'aval des officiers du Génie de l'époque à qui elles apparaissaient comme dépassées. Il est nécessaire à ce sujet de préciser que ce rejet n'était pas sans raison, puisque les forts que l'on proposait s'érigeaient tels des châteaux forts et n'étaient pas encore dissimulés, comme cela sera le cas après 1870.

Refusées en France, les théories de Montalembert, qui pouvaient s'appliquer aussi bien à la défense des villes qu'à celles des voies de communication. ne reçurent pas l'accueil qu'elles auraient mérité et hormis quelques essais autour des ports de guerre entre autre à Toulon au mont Faron elles furent en France, en général rejetées cependant qu'à l'étranger elles trouvaient quelques applications, notamment après sa mort par la construction en Savoie - alors sous la dépendance Austro-Sarde - du barrage de l'Esseillon dont les travaux s'échelonnèrent de 1820 à 1833. Et le principe en sera repris, plus tard, après que l'on eut abandonné l'idée de construire des tours.

On le voit, les polémiques autour des fortifications et des systèmes de défense sont de toutes les époques et se poursuivront dans les années 1860 au delà des frontières, lorsqu'un officier allemand, M. de Zastrow, trouva que Montalembert s'était fortement inspiré de Dürer. Cependant, pour compléter une vision imparfaite de la situation des systèmes défensifs de cette période, il faut savoir que la fin du dix huitième siècle et le début du dix neuvième furent surtout marqués par l'évolution de la poliorcétique liée à l'utilisation de l'artillerie montée, consécutive à l'allégement des canons, dûe à Gribauval, dont l'efficacité est démontrée par les campagnes de
la Révolution puis de l'Empire.

Les photographies de cette page représentent les forts de l'Esseillon en Savoie.

Sur la photo ci-contre au premier plan : la Redoute Marie-Thérèse et au-dessus des rochers surplombant une impressionnante paroi à pic : le fort Victor-Emmanuel, lui-même dominé par le fort Charles Félix.

 

La photo latérale représente la redoute Marie-Thérèse avec ses importantes embrasures à canons, avant que ne soient entrepris les très importants travaux de restauration dont les forts de l'Esseillon sont l'objet.

 

Les premiers forts de ceinture.

En 1830, malgré les divergences d'opinion entre les tenants de la fortification bastionnée et les novateurs, souvent aggravées par les échos provenant de l'étranger, Adolphe Thiers en accord avec Louis-Philippe fera entreprendre à Paris la construction des forts de ceinture et c'est quelques années plus tard, de 1840 à 1845 que furent édifiés les seize forts protégeant Lyon.

L'évolution stratégique.

Ces divergences ne sauraient faire passer sous silence deux autres raisons de la désaffection de la fortification bastionnée qui malgré tout sera conservée autour des villes qui en sont dotées pour assurer un réduit de défense en cas d'attaque soudaine.

La première est en partie dûe au mode de recrutement qui va voir le jour après 1871. Le Service Militaire rendu obligatoire permettra d'avoir sous les drapeaux autant d'hommes que l'on souhaitera, et d'aligner devant une enceinte bastionnée une armée suffisamment importante pour en faire le siège.

Pour la seconde le réduit bastionné délimite en effet un espace restreint dans lequel ne peuvent se mouvoir des réserves de troupes permettant d'organiser une contre offensive. Et il peut être très facilement pris sous les feux concentrés des batteries ennemies empêchant toutes sorties.

Dès lors, l'avantage de la fortification par forts détachés devient incontestable, puisque tout en assurant la défense des points de passages obligés, il permet de préparer sur des plus grands espaces tout en les dissimulant aux assiégeants des troupes de contre-attaque.

Cependant la somme de connaissances qu'avaient les officiers du Génie et de l'Artillerie ne servit pas à grand chose. Puisque la guerre de 1870 consécutive à des erreurs diplomatiques, suivie par une défaite causée par l'impréparation de l'armée française, démontra que le renforcement des fortifications existantes et l'apport de quelques forts détachés ne correspondaient plus à une protection suffisante.

Toutefois l'expérience acquise au cours de cette guerre, mais surtout après celle-ci, alors que Séré de Rivières commandait les forces versaillaises qui s'empareront des forts de Paris tenus par la Commune permettra aux spécialistes du Génie de dégager les principes d'une modification de ces ouvrages et de notre défense.

Le système Séré de Rivières".

Le système Séré de Rivières, la plus importante organisation de défense jamais élaborée jusqu'alors dans notre pays - puisque pour les frontières du Nord et de l'Est pas moins d'environ cent quatre vingt dix forts et petits ouvrages, ainsi que plus de deux cent cinquante batteries seront construits contre vingt six places fortes édifiées et une quarantaine remaniées par le grand Vauban - qui constituera un nouveau "pré carré" découle des principes suivants:

Couvrir sur chaque frontière, la mobilisation, la concentration et les formations de combat des armées.
Canaliser les débouchés de l'attaque ennemie en des points de passage obligé.
Soustraire le plus possible le sol national aux premières opérations.
Barrer les voies ferrées.
Créer une deuxième ligne de défense en prévision d'une rupture de la première.
Fortifier les objectifs principaux de l'ennemi.

Ces principes entraîneront la création de rideaux défensifs de 60 à 80 km de longueur, constitués d'ouvrages :

assez rapprochés pour que les feux de l'artillerie se croisent,
assez forts pour exiger un siège,
assez petits pour être défendus par peu de soldats,
et utilisant au maximum les difficultés du terrain.

Ces rideaux seront donc constitués de forts au tracé polygonal, dont les faces susceptibles d'être attaquées seront protégées par des levées de terre ou inscrite dans le profil du site. Ils comporteront deux crêtes de feux concentriques, l'une pour l'artillerie et l'autre pour les combats rapprochés réservés à l'infanterie dont les défilements auront été particulièrement étudiés.

Les pièces d'artillerie seront installées à ciel ouvert entre des traverses-hautes maçonnées, couvertes de terre, qui les protégeront contre les coups d'enfilade et les éclats d'explosion des projectiles, et dont l'intérieur servira d'abri pour les servants des pièces et de magasin pour le matériel et les munitions.

Le flanquement des fossés sera assuré par des pièces d'artillerie placées d'abord à l'intérieur de caponnières, puis plus tard dans des coffres de contrescarpe. Ces forts comprendront de nombreuses constructions - casernements, magasins, poudrières, etc... - recouvertes par des maçonneries en voûtes d'environ un mètre d'épaisseur, elles-mêmes protégées par une couche de terre de plusieurs mètres. Ces principes de défense resteront valables pendant de nombreuses décennies. Dès lors, ils seront repensés. Protégés par des cuirassements et du béton et dotés de tourelles en acier pour l'artillerie.

La carte ci-contre représente la frontière de l'est de la France après la guerre de 1870, avec, entourées de cercles rosés, les zones d'implantation des forts du système défensif conçu sous l'égide de Séré de Rivières.
 

"Les forts de Grenoble au XIXème siècle"

Le Général Séré de Rivières.

Né le 20 Mai 1815 à Aibi - Tarn - celui-ci sera, après de longues études, reçu en 1835 à Polytechnique d'où il sortira en 1837 dans l'arme du Génie. Il prendra part aux campagnes d'Afrique en 1841 et 1842 pour rentrer en France en 1843 où il dirigera à Toulon d'importants travaux.

Capitaine au 1er Régiment du Génie, il deviendra membre du Comité des Fortifications en 1848. Chef de bataillon en 1858 au début de la campagne d'Italie, il commandera la 8ème Division du 1er Corps du Génie à la tête duquel il sera grièvement blessé et fait Officier de la Légion d'Honneur.

 


A partir de 1861, après le rattachement de la Savoie et du Comté de Nice à la France, il réorganisera la nouvelle frontière des Alpes, puis responsable de l'organisation du front retranché de Metz avant d'être nommé Directeur du Génie de Lyon en 1867 dont il prépara la défense.

Général en 1870, il commandera successivement le Génie de la 1ère armée de la Loire, de l'armée de l'Est puis le 2ème corps d'armée de l'armée de Versailles.

Membre du Comité de Défense en 1872 sous la présidence du Maréchal Mac-Mahon, général de division en 1874 et directeur du service du Génie au Ministère de la Guerre, il entreprendra l'élaboration du système de protection des frontières qui portera son nom et sera élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d'Honneur.

Puis en 1879 la victoire au sénat du parti Républicain, entraînera l'épuration des cadres de l'armée en majorité monarchistes. Et, était-ce son comportement d'une cruelle intransigeance lors de la chute de la commune, ou des investissements de défense, considérés comme outranciers par le gouvernement, il fût invité à présenter une demande de mise en disponibilité. Et il ne termina jamais le système de défense qu'il avait imaginé, conçu, et commencé de réaliser.

 

 

Caractéristiques générales.

S'ils sont de formes différentes tous ces forts, pour s'adapter aux sites sur lesquels ils sont édifiés et aux missions qui leur étaient dévolues, sont construits sur un plan sensiblement identique.

Par leur conception, exempte encore des protections procurées par les vastes chapes bétonnées et des tourelles d'artillerie nécessités au moment de l'invention de l'obus torpille, ils appartiennent à une première série mise au point après 1870 par le commandement du Génie. Entourés de profonds fossés ils comportent souvent un corps de bâtiment central ayant la forme d'un V largement ouvert qui assure une meilleure protection aux coups et permet la multiplication des angles de tirs. Ce bâtiment était destiné au logement de la troupe, le plus souvent en chambrées de quarante hommes, appelées communément casemates.

Le noyau central était épaulé de part et d'autre par des bâtiments plus petits pour recevoir le logement des officiers, abriter divers services : cuisine, four à pain, infirmerie, magasin pour le matériel d'entretien, les communications, poudrières et munitions.

L'ensemble de bâtiments ainsi constitué, s'ouvrait sur une cour centrale où s'effectuaient les exercices dont la vie militaire est émaillée. Cette cour pouvait communiquer avec l'extérieur par l'intermédiaire d'un petit bâtiment de garde dont la porte était équipée d'un pont-levis permettant de franchir le fossé.

Les bâtiments à un ou plusieurs niveaux étaient constitués d'alvéoles couvertes en maçonnerie voûtée de l'ordre d'un mètre d'épaisseur, protégées par des chapes ciment ayant forme de pente pour diriger les eaux d'infiltrations vers des exutoires intérieurs et extérieurs permettant leur récupération dans des citernes. Au-dessus de ces voûtes prenaient place, espacées d'une vingtaine de mètres, des alvéoles également voûtées couvertes en maçonnerie de même épaisseur. Ces alvéoles nommées "traverses-abris" servaient pour abriter les servants des pièces d'artillerie, le matériel et les munitions et, pour certaines, de communiquer avec l'intérieur du fort par des escaliers.




Le plan de masse du fort du Mûrier est, par sa forme particulièrement pure, un exemple d'école des forts construits après 1871 et avant l'intervention de l'obus torpille.


L'ensemble de ces ouvrages était couvert par de grandes levées de terre de plusieurs mètres d'épaisseur qui étaient modelées et engazonnées de manière à assumer le double rôle de protection pour les coups directs et de pare-éclats mais également de permettre la mise en batterie des pièces d'artillerie dont le fort était doté. Les levées de terre qui remplissaient ce rôle de protection se prolongeaient sur la façade extérieure des bâtiments jusqu'au bas du chemin de ronde soutenu par le mur d'escarpe. C'est ce système de protection qui donne le nom de casemate aux locaux de ces bâtiments.

Les terres des parois du fossé étaient maintenues en place par des murs de soutènement, côté intérieur par celui d'escarpe et vers l'extérieur par celui de contrescarpe.

Au niveau du fossé, la protection rapprochée était parfois assurée côté mur d'escarpe par l'exhaussement de celui-ci, au-dessus du chemin de ronde et le percement dans cette partie de mur - dit à "la Carnot" - de meurtrières permettant l'installation de tireurs aux fusils.




Coupe et façade schématique des forts de la première génération permettant d'apprécier l'important masse de terre de protection accumulée entre les fossés et les casemates.





Mur d'escarpe comportant des meurtrières pour tir au fusil et des embrasures pour grenadage.

 

Les caponnières, coffres d'escarpe et de contrescarpe.

Primitivement, caponnière désignait dans la fortification bastionnée un passage protégé permettant de franchir le fossé entre la courtine de l'enceinte et une demi lune. La protection pouvait être complète, tel un tunnel, ou simplement constituée de glacis disposés de part et d'autre d'un couloir à ciel ouvert.

Les caponnières de nouveau type qui apparurent au XIXème siècle sont autrement plus élaborées et constituent des sortes de bastionnets avancés par rapport au mur d'escarpe. Elles pouvaient être simples lorsque leurs feux flanquaient un seul côté de fossé et doubles, lorsqu'elles flanquaient des feux de leurs canons à balles puis de leurs mitrailleuses des fossés opposés. Entre autres caractéristiques, elles pouvaient être également munies, tels les châteaux du Moyen âge pour la défense rapprochée, de sorte de mâchicoulis surplombant le fossé qui sont des trémies de grenadage. Elles pouvaient être prolongées de part et d'autre par des coffres d'escarpe comportant également des embrasures de tirs. Ce système assez fragile, puisque les façades sont sans protection de terre, disparaîtra après les modifications des projectiles et laissera la place à des coffres de contrescarpe auxquels on accédait par des tunnels.

L'artillerie et son fonctionnement.

Le "nombre d'or" de la fortification, la portée de l'artillerie.

Véritable raison d' être des forts, l'artillerie de forteresse prenait place sur les espaces ménagés entre les traverses abris protégées par des cavaliers de terre et les banquettes de tirs.

Schéma de principe d'un emplacement de batterie à ciel ouvert, sur cavalier d'artillerie…
Levées de terre que sont le parapet ou talus extérieur, la traverse abri,
le pare-éclat qui protège également des "tirs d'enfilade",
la rampe d'accès 2/3, de même rapport que les dimensions du drapeau…

Aucune écurie n'étant prévue sur place elle était acheminée par des trains d'équipage pouvant comporter jusqu'à 10 chevaux par canon. Ces équipages regagnaient ensuite les casernes de la ville. Une fois sur place les pièces d'artillerie, canons de différents calibres, en fonction des emplacements de tirs étaient, pour les grosses pièces de 155 ou de 120, disposées sur un plancher bois reposant sur des chevrons, de manières à ne pas s'enfoncer dans les terres de protection




Canon de 155 et les servants nécessités pour l'utilisation de cette pièce d'artillerie dont le poids était de 2 235 kgs , posée, afin d'assurer sa stabilité, sur une plate-forme en bois d'un poids de 2 425 kgs. Les obus de 40 kgs pouvaient atteindre leur cible à environ 7 200 m.


Les officiers de tirs positionnaient alors les pièces en batteries selon des objectifs et des angles de tirs déterminés à l'avance en fonction des points de passages obligés de l'ennemi éventuel. La cadence de tir ne dépassait pas un coup toute les deux minutes.

Flanquement des fossés.

Outre l'armement individuel, le flanquement des fossés pouvait être assuré depuis les caponnières ou coffres de contrescarpe par des canons à balles. Cette bouche à feu - que l'on peut considérer comme annonçant la mitrailleuse - était composée de 25 tubes en acier entourés d'une enveloppe en bronze. Les tubes de calibre 13 mm. étaient rayés et chargés ensemble alors que le tir était déclenché successivement par 25 percuteurs. Il existait également après 1879 un canon revolver constitué de 24 tubes rayés de pas différents permettant de couvrir par un feu de salve toute une longueur de fossé.




Canon à balles conçu par le Capitaine Reyffye, aide de camp de Napoléon III.


Magasins à poudre.

Avant 1885, les forts ne contenaient comme munitions préparées à l'avance, que les cartouches destinées aux armes individuelles. Ces ouvrages devaient donc posséder des locaux destinés aux magasins à poudre, des dépôts de gargousses, de projectiles, des ateliers de préparation des munitions, mais également des magasins de matériel et des ateliers de réparations.

Les magasins à poudre se devaient d'être facilement accessibles depuis les lieux de préparation, mais également d'être établis de manière à assurer une protection contre les coups de l'ennemi, de façon à mettre la poudre à l'abri de l'humidité. Ils sont en général de forme rectangulaire avec des murs d'environ 1,00 m d'épaisseur, couverts par une voûte de même épaisseur, laquelle est surmontée de plusieurs mètres de terre assurant une protection efficace

Le plancher bas est en général construit en hourdis sur poutrelles métalliques revêtu d'une chape hydrofuge faite avec un mastic bitumineux. Au-dessus de ce premier plancher, un parquet en chêne sur lambourdage permet d'assurer une double circulation d'air. Afin d'éviter tout risque d'étincelles, toutes les pièces métalliques sont faites en cuivre ou en zinc. La ventilation est assurée par des ouvertures débouchant dans des cheminées protégées extérieurement par des claims, ainsi que par des ouvertures latérales en chicane permettant les entrées d'air.

L'éclairage artificiel bien nécessaire était obtenu par des lampes à réflecteurs - type celles utilisées par les chemins de fer, elles étaient mises en place dans des chambres d'éclairage aménagées dans l'un des couloirs de desserte et qui ouvraient avec des verres dormants sur l'intérieur de la poudrière.

Enfin les magasins à poudre étaient surmontés de paratonnerres dont les tiges amovibles étaient enlevées en temps de guerre. La poudre était enfermée dans des caisses en zinc d'une contenance de 50 kg et recouvertes dans une enveloppe en bois.

Intérieur d'une poudrière : en partie basse, trace du plancher support alors que s'ouvrent en haut du mur frontal la ventilation haute et de part et d'autre les chambres d'éclairage.  

Afin d'assurer au maximum la sécurité, la poudrière ne communique pas directement avec les autres magasins ou ateliers de préparation mais seulement par l'intermédiaire de couloirs ou de vestibules.

Les dépôts de gargousses et de projectiles chargés étaient installés à proximité des remparts d'utilisation et donnaient parfois lieu à l'établissement d'une traverse abri communiquant avec l'intérieur par une gaine verticale équipée d'un monte charge manuel.

Les Transmissions.

Si l'artillerie était essentielle, l'autre point important concernait les communications, indispensables au bon fonctionnement de l'ensemble défensif.

Tout au début les transmissions étaient assurées par le télégraphe optique dont les portées variaient en fonction des types d'appareils. Pour les plus performants destinés à être placés dans les forteresses, les portées pouvaient atteindre 120 km. Enfin plus tardivement il fut installé des lignes téléphoniques




Equipe de transmetteurs autour de l'appareil de télégraphe optique


Afin de pallier toute défaillance éventuelle du matériel ou de surmonter une période de mauvais temps, les places importantes étaient équipées de colombiers militaires relevant également des autorités locales du Génie. Le service était assuré par des sapeurs colombophiles qui soumettaient leurs pensionnaires à un entraînement en pratiquant des échanges entre les places. Autre particularité de ce service, les sapeurs colombophiles ont pu vendre la "colombine" - fiente de pigeon - à leur profit auprès d'agriculteurs qui utilisaient ces déjections comme engrais, jusqu'en 1917 ou l'Etat par le ministère de l'agriculture décida que le produit de ce ramassage devait revenir à ses caisses et serait désormais attribué par adjudication publique.

La vie à l'intérieur des forts.

La vie à l'intérieur des forts était bien évidemment différente de celle que pouvait avoir les soldats à l'intérieur des dernières casernes construites à la même époque dans les villes et qui comportaient des chambres à 24 lits, des espaces réfectoires et des lavabos.

Les forts qui constituaient un point d'appui important du système défensif ne servaient que de cantonnement passager à des compagnies destinées à être relevées périodiquement en cas de conflit. Bien qu'ayant tout le nécessaire, la vie des officiers et de la troupe y était très spartiate.

En règle générale, les parties supposées être les moins exposées aux feux de l'ennemi abritaient le commandement, les chambres des officiers, les dépôts de matériels, de vivres, cuisine, four à pain, infirmerie et citerne d'eau. La partie se trouvant sous les traverses-abris constituait les casemates destinées au logement de la troupe. Chacune des casemates pouvait abriter 40 hommes.

Cependant, il n'y a pas de réfectoire, ni même de table, les soldats qui avaient parfois un tabouret mangeaient dans leur chambre sur une tablette de bois rabattable qui était fixée au lit.

Le chauffage était assuré par des poêles à charbon en fonte dont l'évacuation des fumées se faisait souvent par des tuyaux métalliques raccordés à un trou communiquant avec l'extérieur. Des systèmes plus perfectionnés de type chauffage à air chaud avec évacuation de l'air vicié en partie supérieure verront le jour dans les projets du Génie, mais ne seront jamais généralisés.




Coupe schématique montrant le système de chauffage par air chaud, imaginé par le service du Génie et appliqué au fort de Comboire. Le conduit de fumée jumelé parcourt la quasi totalité de la longueur de la casemate dans une gaine maçonnée munie d'ouvertures au-dessus des lits de manière à diffuser la chaleur. Cette approche moderne de diffusion de la chaleur a été souvent utilisée et avait retrouvé un nouvel essor dans les années 1960 à partir de poêle au fuel.


L'ameublement des casemates ne comprend que des lits à 4 places en plancher de bois, avec tablettes rabattables pour prendre les repas, et râteliers d'armes permettant de suspendre les fusils horizontalement. Entre les lits prennent place des planches à bagages.

Les cuisines sont assez bien équipées, dotées de fourneaux fixes avec hottes et cheminées d'évacuation, leur équipement comprend des marmites permettant de cuire jusqu'a 800 l. de soupe, des percolateurs permettent de préparer plusieurs dizaines de litres de café.

Sauf cas particuliers, les forts comprennent des fours à pain permettant d'assurer la préparation des rations quotidiennes de plusieurs semaines.

Les sous-officiers sont logés dans des chambres analogues à celles des hommes de troupe, en lits à 2 étages mais seulement 1 place par lit.

Les officiers sont parfois logés en chambres individuelles qui servent également de bureau, toutefois lorsque l'une d'entre elle est disponible, elle sert de salle à manger dans certains forts. Les officiers, les sous-officiers et la troupe se nourrissent au même ordinaire.




Lit à deux étages pour quatre soldats, comportant un support en bois sur lequel était posé un matelas en crin.
Les lits étaient fixés aux murs de la casemate par des pièces métalliques que l'on peut encore apercevoir dans certains locaux.

 

 



Lits jumelés à 4 places sur deux niveaux avec sommiers bois - reconstitution avec les lits d'époque au fort du St Eynard.



Les zones de servitude.

Enfin, si ces forts apportaient aux villages à proximité desquels ils étaient construits un surcroît d'activité dû à la présence de la troupe, ils exerçaient une lourde contrainte pour les terres qui les entouraient par la création de zones de servitude.

Celles-ci s'appliquaient, conformément au décret du 10 Aout 1853, sur les propriétés comprises dans trois zones commençant toutes aux fortifications et s'étendant respectivement sur des distances de 250 ; 487 ; 584 et 974 m suivant les places, et toute construction neuve de maisons, clôture et autres bâtisses, ainsi que toutes réparations, transformations ou modifications qu'elle qu'aient pu être la cause étaient soumises à l'avis de l'autorité militaire. Tout manquement à ces règles pouvait faire l'objet de procès-verbaux de constatations dressés par les gardes du Génie et entérinés par le Maire ou le Juge de paix.



 
Jean Azeau.          
Compléments de S. Pivot.






 

 
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