Au lendemain du débarquement Sud,
la remontée foudroyante de la "Task Force Butler".

Le 15 août 1944 se produit le coup de théâtre tant attendu.

Le débarquement en Provence est un plein succès. Tandis que la 1ère Armée française - jusque-là Armée B - se consacre à la reconquête de Toulon et de Marseille, la 7th US Army du général Alexander Patch entame la poursuite vers le Nord. Le 7th US Corps du général Lucian Truscott démarre d'emblée avec, pour fer de lance, sur l'axe de la Durance, la "Task Force Butler".



Cette unité puissante atteint Sisteron des le 18 août. Le 20 à l'aube, Butler lance un détachement opérationnel "A"où vers Gap, sous le commandement du capitaine Piddington.

La capitale des Hautes-Alpes va tomber le soir même par action combinée des Américains et des maquisards des Hautes-Alpes.

Des le lendemain, Piddington rejoindra la "Task Force Butler" et sera relevé à Gap par le 1st bataillon du 143th Infantry regt US du lieutenant-colonel David Frazier, chargé de pousser sur Grenoble par le col Bayard et le Drac.

Le même 20 août, Butler avait dépêché un second détachement opérationnel "C" vers le col de la Croix-Haute qu'il atteignait i'après-midi même, et où il rencontrait un important rassemblement de maquisards de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l'Isère. Le lieutenant Jacques Ceard, du Groupement "A" des Hautes-Alpes en profitait pour aventurer sa reconnaissance jusqu'à Clelles, sans rencontrer d'Allemands.

Butler rendait compte à son supérieur, le général John Dahlquist, commandant la 36th Infantry division : "Mon avant-garde tient le col de la Croix-Haute. Le support des partisans est organise et se renforce."

Mais, le 21 à quatre heures, Butler reçoit l'ordre d'opérer une conversion vers l'Ouest à 45°, afin de rejoindre la vallée du Rhône et d'y combiner son action sur Montélimar avec les éléments de tête de la 7th US Army.

Le 22, la relève du détachement "A" de Butler est assurée par le 143th Infantry regt US du lieutenant-colonel Theodor Andrews.

Le colonel Paul Adams, commandant le 143th Infantry regt. dont le IIème bataillon a suivi Butler vers l'Ouest, va se consacrer à l'opération sur Grenoble, à la fois par le Trièves et par le col Bayard et le Champsaur.

Si les éléments de reconnaissance du lieutenant Ceard se sont hasardés jusqu'à Clelles le 20 dans l'après-midi, ils ne seront relevés par la tête du III/143ème RI US que le 21 août dans la nuit.

Le colonel Paul Adams, commandant le 143ème Régiment US, va désormais se consacrer à l'opération sur Grenoble, convergeant par le Trièves et par la vallée du Drac, au-delà du col Bayard.

Or, avant les Américains, sont arrivés à Clelles, le 19, deux détachements opérationnels plus forts par leur qualité que par leur effectif. Il s'agit d'une section du bataillon de Choc, commandée par l'aspirant Muelle, parachutée le 31 juillet près de Bourdeaux, dans la Drôme, et d'une compagnie sous les ordres du lieutenant Beaumont, lui-même parachute récemment par le B.C.R.A.

Ces deux unités vont manœuvrer ensemble, au contact avec d'autres éléments des maquis de la Drôme et du secteur IV - Trieves - de l'Isère. Ces petites formations ont été très éprouvées par les combats consacrés, en juillet, a la couverture Est du Vercors. Muelle et Beaumont se sont mis a la disposition du III/143ème RI US pour éclairer la progression de son avant-garde vers Grenoble.

Le 21, les commandos gagnent du terrain sur les talons des Allemands. Ils traversent Monestier-de-Clermont et pénètrent dans Vif au milieu de la nuit.

Dans la soirée, Muelle a reçu mission d'ouvrir le passage dans Pont-de-Claix pour le lendemain 22, a dix heures.

La tenaille se referme sur Grenoble.

Depuis le 15 août, la situation du commandant de la 157ème Division, a Grenoble et dans toute la zone de sa responsabilité, est tout a fait critique. La XIXème Armée a exigé qu'il tienne la capitale des Alpes jusqu'au 30 août ; et, avec "Hochsommer", il a engagé une précieuse réserve opérationnelle. D'autre part, le maréchal Kesselring, qui commande le front d'Italie, exige sa présence au plus tôt sur la crête frontière, en couverture de son flanc ouest.

Aux abords du 19 août, Pflaum apprend avec consternation la remontée foudroyante de l'avant-garde de la 7th US Army Armée par la Durance.

Il décide en catastrophe le repli général de ses unités. Mais encore faut-il éviter le piège redoutable qui se prépare entre les forces des maquis de l'Isère, a l'affût sur tous les itinéraires de fuite vers Lyon, la Savoie, ainsi que vers les cols-frontières, et les colonnes américaines annoncées sous les cols Bayard et de la Croix-Haute.

Il semble que les ordres donnés dans ce sens organisent une authentique désarticulation de la grande unité allemande. Les formations aventurées en Oisans se dégageront progressivement en couverture mutuelle, certains détachements étant autorisés a se frayer indépendamment leur chemin vers l'Italie - ce que réussiront un petit nombre d'entre eux par le col du Sabot.

Pflaum, quant à lui, malgré le renfort d'un groupement de la 90ème Panzergrenadier Division, sait fort bien ce qui l'attend s'il demeure a Grenoble avec des forces réduites. Les miliciens de l'h6tel d'Angleterre et les hommes du P.P.F. qui s'accrochent a lui ne constituent qu'un danger de plus.

II sait qu'il est guetté des les abords de la ville. Aussi se résout-il a une évacuation éclair dans la nuit du 21 au 22 août.

La Résistance avait fait le vide armé au cœur de Grenoble depuis quarante-huit heures. Seuls y demeuraient, étroitement camouflés, les antennes de renseignement, les écoutes des Groupes francs et le noyau précurseur du secteur I.

Une centaine d'otages étaient enfermés a la Gestapo du boulevard Gambetta et a la caserne de Bonne.

Au milieu de la nuit, deux formidables explosions ébranlent la cité. Les ponts sur le Drac ont sauté. Le silence revenu, les prisonniers n'entendent plus rien. Ils fracturent les portes : leurs gardiens ont disparu.

Pflaum a réussi le tour de force d'évacuer Grenoble en trois heures, en pleine obscurité. Nos G.F. de ville ont toutefois réussi deux accrochages périphériques.

Le commandant de la 157ème Division a choisi la percée en une colonne d'une puissance irrésistible pour les moyens de la Résistance. Il a choisi aussi d'abandonner les deux tiers de ses hommes et de s'enfuir par la Maurienne avec les blindés de la 90ème PZD qui ravageront cette vaste vallée.

La veille, en début de matinée, l'opération des commandos du bataillon de Choc s'était amorcée par un coup de surprise sur Pont-de-Claix, qui avait durement éprouvé la compagnie d'Alpenjäger reconnue le 20 dans la petite cité. Les Allemands, toutefois, s'étaient repris ; et le combat indécis avait coûté de sérieuses pertes de part et d'autre. Cependant, dans la nuit, une patrouille signale le départ de l'ennemi qui laisse ses morts sur le terrain.

Des l'aube du 22 août, les "Chocs" cavalcadent de Pont-de-Claix a Grenoble où ils pénètrent a huit heures.

La nuit du 21 au 22 août fut, dans la ville de Grenoble, un épisode confus qui a donné naissance a de vaines controverses inspirées par l'instinct de compétition.

Ce qui est certain, c'est que les Groupes francs de Nal avaient reçu l'ordre de pénétrer dans Grenoble en fin de nuit et qu'ils l'exécutèrent

Il est également vrai que les secteurs limitrophes de Grenoble - le "S 2" de Chartreuse et le "S 6" du Grésivaudan - dépêchèrent des patrouilles dans la ville dès qu'ils eurent vent du début de l'évacuation allemande.

Le 22 août au lever du soleil, les bâtiments officiels étaient occupés par les autorités civiles et militaires de la Résistance. A ce moment-la, aucun Américain n'était encore en vue dans la ville, ni dans sa banlieue, a l'exception d'un audacieux journaliste du "Chicago Sun", M. Edd Johnson, revêtu, comme correspondant de guerre, de l'uniforme des armées US. Cet aventurier sympathique était venu par le tramway avec la première vague des ouvriers ; et la foule l'acclamait comme le premier libérateur américain... Ce quiproquo allait durer d'autant plus longtemps qu'un des bataillons qui relèverait le 143ème RI US, était commandé par un homonyme, le lieutenant-colonel Philip Johnson.


22 août 1944, scènes de la Libération de Grenoble.

A cette même heure, le III/143th, avec le chef de Corps, le colonel Adams, renseigné sur la vacuité des approches de Grenoble, dévale a toute allure vers Pont-de-Claix, que son avant-garde - une compagnie d'infanterie, un peloton de chars et une batterie d'artillerie - atteint a sept heures.

Le bataillon lui-même, le III/143th, avec son chef, le lieutenant-colonel Theodor Andrews, fera son entrée a Grenoble a treize heures

Le colonel Adams va prendre immédiatement liaison avec le commandant "Bastide"- Le Ray, chef des F.F.I. de l'Isère, et bientôt avec le nouveau préfet, "Vauban", Albert Reynier.

Il installera son Q.G. a l'hôtel Napoléon, rue Montorge.

A gauche, le 22 août 1944, les américains rue Montorge, rue qui relie la place Grenette à la rue Belgrade, le long du "Jardin de ville" - Life - à droite, cours Jean Jaurès, à l'angle de l'avenue Alsace Lorraine d'ou sont arrivées les troupes par le cours de la Libération venant de Pont de Claix,
avant ce cours s'appelait le cours Saint André,
noter qu'il s'agit d'un "Sherman dozer" sans sa lame.

Devant la gare S.N.C.F., face à l'hôtel "Suisse et Bordeaux", photos prises depuis
l'avenue Alsace Lorraine, lorsqu'elle aboutit à la place de la gare.

L'arrivée des Américains provoque une immense flambée de joie ; et personne ne doute de ce que la menace qu'ils représentent a été déterminante dans la décision de Pflaum. Mais ii est vrai aussi que leurs unités n'ont joué aucun rôle direct dans la libération de la ville.

Derniers combats autour de Grenoble.

Mais le seul bataillon Andrews ne constituait pas, aux yeux du colonel Adams, une force régulière suffisante pour parer à toute éventualité, quels que fussent les effectifs et la combativité des forces de la Résistance en alerte autour de la ville. C'est avec impatience qu'il attendait son 1er bataillon, en marche depuis Gap, et signalé à Laffrey aux premières heures de la matinée du 22.

En attendant, le colonel Adams se mit d'accord avec le commandant Bastide pour constituer des barrages communs sur les principales routes d'accès vers la ville.

A la Galochère et à Gières, en particulier, fut établie une position défensive légère autour d'un peloton de chars américain.

En réalité, le I/143th RI US avait rencontré de sérieux obstacles sur la route par le Champsaur.

Les colonnes allemandes, hautement manœuvrières et agressives au déclenchement d'Hochsommer et jusqu'au 18 août, étaient désormais désarticulées et désorientées. Mais cette nouvelle situation ne les privait pas de leur combativité consacrée à leur survie, à l'espoir de pouvoir rejoindre l'Italie et, surtout, d'échapper aux maquisards dont ils redoutaient l'instinct de vengeance accumulée.

Faute d'archives de la 157ème Division - métamorphosée en Italie en 8éme Gebirgsjäger Division - ii est difficile d'évaluer la valeur de ces détachements fractionnés et les directions prises dans leur fuite par chacun d'eux.

Un petit bataillon résiduel, retour de l'Oisans et du Champsaur, après une tentative vers le col Bayard, s'efforçait le 22 au matin de s'ouvrir un chemin au-delà de Vizille, harcelé par les maquisards de la Matheysine et de la Basse-Romanche.

En fin de matinée, les Allemands étaient pris en étau entre les forces de Lanvin dévalant à grandes enjambées depuis l'Oisans, l'épée dans les reins de 1'ennemi, et le I/143th RI US du lieutenant-colonel Frazier.

La jonction entre ces formations alliées allait se réaliser en fin de matinée, au nord-ouest du Péage-de-Vizille. Malgré une confusion d'identité de la part des artilleurs américains qui arrosèrent - heureusement sans vrais dégâts - les hommes de Lanvin, la coopération s'organisa très vite.

Une attaque coordonnée fut conduite à partir de dix-sept heures en commençant par le point d'appui allemand installé derrière le pont sur la Romanche. L'effort américain principal se portait sur la face nord de la résistance ennemie. Après rupture par les F.F.I. des défenses périphériques, le détachement allemand, estimé à un bataillon, se retrancha dans le parc du château de Vizille, pour y déposer les armes après un combat dur et bref.



Prisonniers allemands capturés par la 179th Infantry battalion.

Cette "bataille de Vizille" avait été le beau succès d'une coopération intelligente et chaleureuse entre les Américains et les hommes des maquis de l'Oisans.

Le retardement entrain par cette glorieuse échauffourée avait privé le colonel Adams de la ressource précieuse de son 1er Bataillon qui ne parvint à Grenoble que ce 22 août, à vingt et une heures.

Mais à peine s'était-il installé, avec son Q.G. à l'hôtel Napoléon, que le 143th recevait l'ordre de faire mouvement vers la vallée du Rhône en renfort de sa Division, la 36th "Texas Division", du général Dahlquist.

C'est avec grand regret que militaires et civils devaient voir ces soldats américains les quitter, qui en une journée à peine, avaient conquis leur amitié.

Au cours de la matinée du 23, la relève était assurée par le 179th régiment d'infanterie US de la 45th Infantry Division - Thunderbird Division - du général W. Eagles. Le régiment avait pour chef de corps le colonel Harold Meyer. L'avant-garde de son 1er bataillon pénétra dans Grenoble la première. Le chef de corps lui-même rejoignit la ville avec son 3th bataillon dans l'après-midi.

Il installa son P.C. à l'hôtel "Suisse-et-Bordeaux" et prit contact avec l'autorité militaire, le commandant Bastide et le préfet Vauban-Reynier, à la préfecture. Il commença par chausser les bottes de son prédécesseur, et chargea sans plus attendre le lieutenant-colonel Philip Johnson, commandant le 3th Bataillon, d'assumer avec les F.F.I. du secteur VI la protection du front nord. Le point d'appui, la Galochère-Gières en particulier, fut confié à une force mixte composée de la Compagnie "A" du 3/179th du lieutenant Clarence D. Coggins, et de deux sections A.S. et F.T.P. du secteur VI. Sur les autres directions, cinq barrages mixtes étaient chargés de la même mission, le 1st Bataillon du lieutenant-colonel Davidson appuyant la défense des façades ouest vers Bourgoin avec le secteur II, et sud-ouest vers Romans avec le secteur III.

Ainsi s'achevait le 22 août 1944, premier jour de liberté de la capitale des Alpes depuis la fin novembre 1942.


Général Alain Le Ray.
Ancien chef militaire du Vercors.
Ancien chef des F.F.I. de l'Isère.
A.M.T.M.


 
 

 
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