Grenoble
et ses armées à la "belle époque".
La période appelée "belle époque"
est celle qui encadre le début du XXème siècle
et se termine en 1914, c'est pour le
fort du St Eynard celle de sa "vie opérationnelle",
il vient d'être terminé, il est équipé,
occupé par les troupes qui s'entraînent pour
en faire en cas de guerre un des éléments
de la défense de la ville.
Depuis
le désastre de 1870 et jusqu'en 1914, l'Armée
Française est organisée sur le plan territorial
et opérationnel d'une manière très
rationnelle : la France métropolitaine est découpée
en 20 régions militaires - R.M. - doublées
d'un corps d'armée - C.A.
Tous
sont organisés de manière identique :
- en 2 divisions d'infanterie à 2 brigades de 2 régiments,
- plus une brigade de cavalerie, également à
2 régiments,
- une brigade d'artillerie de campagne, elle aussi à
2 régiments,
- ainsi que des éléments divers de soutien
et d'appui - Génie, Intendance, etc…,
pour la partie opérationnelle qui doit rejoindre
les autres C.A. en cas de conflit.
La partie
territoriale regroupe des unités destinées
à combattre sur place, soit dynamiquement - infanterie,
cavalerie - soit plus statiquement - infanterie et
artillerie de forteresse, génie de place - essentiellement
en armant les fortifications locales.
Toutes
les unités se dédoublent, au minimum, en cas
de conflit en mettant sur pied des unités de réserve
de même spécialité.
Les
Alpes sont alors divisées en deux R.M. / C.A. :
- le 14ème au Nord - P.C. à Lyon,
- le 15ème au Sud - PC à Marseille.
La
14ème Région / le 14ème
Corps.
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La garnison
de Grenoble se trouve donc sur le territoire de la 14ème
Région de Lyon, dont l'organisation est la suivante
en 1900.
Ses deux divisions d'infanterie sont :
- la 27ème division à Grenoble,
- la 28ème à Chambéry, toutes deux
commandées par un général de division
disposant d'un état-major.
Ses brigades :
- pour la 27ème les 53ème - Grenoble - et
54ème brigade - Gap,
- pour la 28ème les 55ème - Annecy - et 56ème
brigade - Chambéry, commandées par des généraux
de brigade avec un petit état-major.
Chaque
brigade d'infanterie est formée de deux régiments,
à trois bataillons chacun :
- pour
la 53ème de Grenoble ce sont le 75ème Régiment
d'Infanterie - R.I. - stationné à Romans et
le 140ème R.I. stationné à Grenoble.
- La 14ème brigade de Cavalerie - 4ème Dragons
de Chambéry et 1er Hussards de Valence, est à
Valence.
- La
14ème brigade d'Artillerie se trouve également
à Grenoble - 2ème R.A. Grenoble et 6ème
R.A. Valence, ainsi que le 14ème bataillon du Génie.
Troupes ne faisant pas partie du corps d'armée.
L'Infanterie
est divisée en trois régiments régionaux
et les chasseurs alpins.
- Ces
trois R.I. sont les :
- 157ème et le 158ème R.I.
de Lyon - brigade régionale - 158ème
R.I.qui en 1913, à la création du 21ème
Corps, quitte les Alpes pour s'installer dans les Vosges
à Bruyères et Corcieux,
- et le 159ème R.I. de Briançon.
Quant
aux chasseurs alpins - B.C.A. - ce sont les :
- 11ème - Annecy,
- 12ème - Embrun,
- 13ème - Chambéry,
- 14ème - Grenoble,
- 22ème - Albertville,
- 28ème et 30ème - Grenoble.
La Cavalerie
est représentée par quatre régiments
de cavalerie lourde :
- deux de cuirassiers à Lyon - les 7ème et
10ème Cuirs,
- et deux de dragons - 2ème à Lyon et 19ème
à Vienne.
L'Artillerie
se divise également en deux spécialités
: les batteries alpines et l'artillerie à
pied.
Les
batteries alpines dépendent administrativement
du 2ème R.A. mais sont rattachées pour emploi
aux B.C.A. à raison d'une par bataillon, elles sont
donc stationnées une partie de l'année à
Grenoble, l'autre dans la vallée de leur B.C.A.
Le
12ème bataillon d'artillerie à pied a son
P.C. à Briançon, mais il regroupe toutes les
batteries qui activent les pièces des fortifications
de la région, c'est ainsi que sa 12ème batterie
est affectée aux fortifications de Grenoble, et donc
au "Saint Eynard".
Le 4ème
régiment du Génie, également en garnison à Grenoble,
assure le soutien de tous les éléments ci-dessus, aussi
bien en franchissement, qu'en communications et transmissions
- cette arme n'existait pas et sa mission était dévolue
au Génie - à travers les Alpes du Nord.
Création.
Depuis
1872 les Italiens ont créé des troupes spécialisées
dans le combat en montagne, les "Alpinis"
- et bien que l'Italie doive son indépendance
à la France - ces troupes d'élite et
un contexte international tendu inquiètent les Français
qui ne prévoient pas de se battre en montagne mais
à l'entrée des vallées.

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1875 - Officiers de la 10ème compagnie de Domolossa
- A.N.A. de Milan.
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Au millésime 1873, à gauche, chapeau
"Alpini" dit "alla cabrese",
à droite, képi de l'artillerie de montagne
italienne - Musée de l'artillerie de Turin.
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Il va
falloir attendre 1888 pour que soient créées
dans l'Armée Française des unités capables
de se déplacer, de vivre et de combattre en montagne.
Ces troupes ne sont pas mises sur pied "ex nihilo"
mais à partir d'unités existantes dans les
14ème et 15ème Corps.
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Rencontre à la frontière, "Bersagliers"
italiens et chasseurs alpins français.
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L'infanterie
provient des bataillons de chasseurs à pied qui
n'étaient pas embrigadés et faisaient fonction
de réserve d'infanterie légère des
C.A., et l'artillerie des 2ème et 19ème R.A.
des 14ème et 15ème brigade d'Artillerie.
Les
lois de création de 1888 vont, en fait, donner un
équipement, une organisation et une mission particulière
à 12 bataillons de chasseurs à pied et 12
batteries d'artillerie.
Mission des troupes alpines
Ces
nouvelles unités ont pour mission de défendre
de manière dynamique les vallées qui arrivent
d'Italie, en s'y battant en altitude, sans attendre que
l'ennemi n'ait atteint le bas des vallées et le Piémont.
Cet
engagement doit être interarmes et combiner le feu
et le mouvement. Les nouvelles troupes doivent donc pouvoir
déplacer, vivre en altitude, connaître parfaitement
le terrain sur lequel elles vont s'engager.
Organisation des groupes alpins
Pour
remplir cette mission il a été prévu
de créer des "groupes alpins",
unités interarmes très novatrices puisque,
nous l'avons vu, il n'est pas prévu à cette
époque d'engagement d'unités de diverses armes
en dessous du niveau division.
En revanche
dans un "groupe alpin" sont regroupés
:
- un B.C.A. - cinq compagnies d'infanterie,
- une batterie d'artillerie de montagne - à six
piècesde "80 de Bange",
puis de "65 de montagne".
- un détachement de pionniers - sapeurs du Génie
spécialisés dans le franchissement et les
télécommunications.
Parmi tous ces hommes sont choisis les meilleurs montagnards
qui forment "l'escouade franche",
véritables commandos et éclaireurs avant l'heure,
spécialistes des déplacements difficiles et
des coups de main.
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Reconstitution,
association "Tempête sur les Alpes".
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Il a
été spécialisé 12 B.C.A. car
il n'y a que 12 B.C.P. à disposition dans les deux
C.A., mais comme il y a 13 vallées à défendre
; on créé donc une 13ème batterie et
un bataillon du 97ème R.I. de Chambéry reçoit
la même mission que les 12 B.C.A. pour former un 13ème
groupe alpin en Maurienne. Equipé comme les B.C.A.
mais restant en tenue d'infanterie - vareuse bleu foncé
de l'infanterie à l'origine, puis la vareuse-dolman
1891 des B.C.A. à partir de 1904, et pantalon garance
- et non en bleu comme les chasseurs, il prendra l'appellation
d'infanterie alpine".
Equipement des alpins.
Les
chasseurs n'avaient pas attendu la loi pour trouver le chemin
de la montagne et plusieurs de ces unités stationnées
déjà dans les Alpes s'y entraînaient
et avaient testé les équipements pour s'y
déplacer - le 12ème B.C.A. avait été
nommé membre du Club Alpin Français.
Ils
vont donc être équipés de ce qui se
fait de mieux à l'époque en matière
de matériel de montagne : chaussures à clous
"ailes de mouche",- à priori ces clous
dits plus vulgairement "clous savoyards",
qui ne mordent pas sur l'épaisseur de la semelle,
ne seront réglementaires qu'à partir de 1935.
A l'époque, la base est le brodequin 1893, puis 1912,
qui peut être parfois muni d'un cloutage renforcé
par une plus grande quantité de clous - havresac
du modèle général, bandes molletières,
vestes courtes avec large ceinture de flanelle, la "taillolle",
alpenstocks, solides cordes, manteau à capuchon…
Leur
silhouette se différencie du reste de l'armée
par leur coiffure originale, ils abandonnent le traditionnel
képi qui ne différencie les armes que par
la couleur, au profit d'un vaste béret bientôt
appelé "tarte" qui les met
à l'abri des intempéries et qui restera la
distinctive de la spécialité alpine à
travers les temps pour toutes les unités de montagne
françaises.
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Rare photo de 1888 / 89 de la première tenue
B.A.C.P.
Si l'on distingue encore la présence de la
capeline caractéristique des chasseurs,
les cartouchières de l'ancien modèle,
par contre "la tarte",
les bandes molletières, la "taillolle"
et l'équipement spécifique sont déjà
présents.
Fond L. Demouzon.
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1892 - 22ème B.A.C.P. - Albertville. L'intérêt
de ce cliché : les chasseurs viennent de toucher
la nouvelle vareuse "Dolman Mle1891", ainsi
que le nouveau pantalon - Fond L. Demouzon.
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Si l'armement des fantassins reste le même que celui
des autres unités de l'arme , en revanche, les artilleurs
de montagne sont équipés d'une artillerie
spéciale qui a déjà fait ses
preuves dans des campagnes outre mer, il s'agit du canon
de montagne.
C'est
tout d'abord un "80 de montagne" du système
de Bange, puis vers 1900, un nouveau "65 de
montagne à tir rapide". Afin de passer au
dessus des crêtes, d'atteindre des objectifs "défilés",
ces pièces ont pour caractéristique de pouvoir
tirer sous des angles très élevés,
mais surtout, de se démonter en plusieurs fardeaux
portés par des mules.
En effet,
une autre des caractéristiques des troupes de montagne,
comme dans toutes les armées du monde qui en sont
dotées, est d'être pourvue d'un "train
muletier" important, chargé de fournir
tout le train de combat des B.C.A. et des batteries alpines
.Cette dotation est d'ailleurs l'un des points qui figure
dans la loi de 1888 qui les crée.
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Traversée du col de la Vanoise par un régiment
d'artillerie de montagne. Fond O. Bellec.
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Train muletier d'artillerie de la pièce de
montagne de "80 de Bange".
La "Miaule" du centre, sur son bât,
emporte l'affût, ses roues et la "limonière".
Fond S. Pivot.
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Les unités de forteresse de montagne.
Bien
qu'ayant des missions plus statiques, d'autres unités
sont stationnées en altitude, et peu à peu
vont être équipées comme les chasseurs
alpins et les artilleurs de montagne, ce sont essentiellement
les fantassins des régiments qui occupent les forteresses
d'altitude et les artilleurs des pièces qui les arment.
Pour
l'Infanterie, les 157ème ,158ème et surtout
le 159ème R.I. subissent cette transformation en
alpin.
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1900 - Mont Dauphin - entre les traverses-abris, batteries
sous la neige - Fond L. Demouzon.
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Restant
dés la fin du siècle dans les forts toute
l'année - alors que durant l'hiver les groupes
alpins redescendent dans leurs garnisons de la vallée
- ce sont eux qui seront les précurseurs du ski militaire,
et même du ski en France.
Les
artilleurs de certaines batteries de fortifications d'accès
difficile le seront également, mais ceux
du fort du Saint Eynard, par la proximité de
la ville de Grenoble et les possibilités de s'y rendre
facilement resteront équipés comme leurs camarades
des autres bataillons d'artillerie à pied - cette
appellation inusitée dans l'artillerie de campagne
est utilisée dans cette spécialité.
La
vie militaire a Grenoble.1
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Le détail
des unités et états-majors stationnés
à Grenoble donné ci-dessus justifie bien le
titre dont cette ville aime bien se parer, en ce début
de XX° siècle elle est effectivement dans le
domaine militaire tout au moins "la capitale
des Alpes".
C'est
une très grosse ville de garnison, et l'on peut même
dire que les militaires représentent la plus grande
activité de la ville, son expansion industrielle
viendra plus tard, pendant et à cause de la Grande
Guerre.
Rappel des unités grenobloises en 1900
Il y
a d'abord plusieurs généraux et leurs
états-majors :
- ceux de la 27ème division d'infanterie,
- de la 53ème brigade d'infanterie,
- de la 14ème brigade d'artillerie,
- et du gouverneur des places fortes.
L'Infanterie
est représentée par :
- le 140ème R.I., les 14ème ,28ème
et 30ème B.C.A.,
- le Génie par le 14ème bataillon et le 4ème
régiment du Génie.
L'Artillerie
:
- par une école d'artillerie - à l'emplacement
de l'ex mess de garnison,
- le 2ème R.A., auquel est rattaché le groupe
des 8 batteries alpines, et la 12ème
batterie du 12ème bataillon d'artillerie à
pied qui fournit les artilleurs des forts.
Il convient
d'y rajouter un hôpital militaire et les nombreuses
formations des services, dont un conseil de guerre,
qu'exige un tel rassemblement de troupes pour vivre et se
préparer au combat.
Ainsi
en 1906, pour une ville de 73 000 habitants,
entre le tiers et le quart de la population est en uniforme
!!!
Une armée de conscription.
A l'exception
des cadres officiers et sous-officiers, la grande majorité
des militaires sont des appelés.
En effet,
après la guerre de 1870 - qui a démontré
par la défaite la supériorité d'une
armée de conscription sur une armée de métier
- la France a une armée d'appelés qui doivent
une période d'active de un à trois ans suivant
les périodes, et de nombreuses années dans
des formations de réserve puis de territoriale.
L'opinion
publique - et par là le monde politique -
est très intéressée par la "chose
militaire", aussi les débats parlementaires
sur la durée de ce service vont être l'objet
de nombreuses polémiques durant toute cette "belle
époque".
A la
veille de la guerre - 1913 - la durée de celui-ci
passe à trois ans pour la plus grande majorité
de la population masculine. La durée du temps passé
sous les drapeaux, son caractère universel et la
présence de troupes nombreuses font que tous les
civils connaissent bien mieux les armées que de nos
jours, ils déterminent sans se tromper les grades
et les différentes subdivisions d'armes, aidés
en celà par les différents uniformes qui ne
permettent pas de confondre un dragon avec un cuirassier
ou un chasseur avec un artilleur.
Une armée vivant au rythme des saisons.
La durée
du service, mais surtout dans les Alpes, la tyrannie de
la météorologie, font que la vie des unités,
et donc la vie de la garnison, suit le rythme des saisons.
A l'automne,
les jeunes conscrits arrivent dans les casernes et quartiers
pour être incorporés et y effectuer leur instruction
de base, "les classes", dans les cours
des casernes et dans les terrains d'instruction proches
de celles-ci. Tous apprennent à marcher au pas, connaître
les bases de la vie militaire, tirer aux armes légères
- fusil Lebel pour les fantassins et mousqueton pour
les armes portées et artilleurs - à monter
à cheval pour les unités "montées"
et effectuent les premières grandes marches.
Puis
les armes dites "savantes" - Artillerie
et Génie - découvrent les rudiments de leur
nouveau métier sur les "polygones"
d'entraînement de la Garnison.
Les
beaux jours arrivant, les fortifications - laissées
sous occupées durant la saison neigeuse - sont
réoccupées et l'entraînement collectif
s'y poursuit pendant toute la belle saison. Les groupes
alpins se reforment au printemps, les chasseurs retrouvent
leurs batteries de montagne et leurs pionniers, quittent
la plaine pour rejoindre "leur vallée".
Ils vont s'y entraîner jusqu'à l'arrivée
des premières neiges en travaillant d'abord au niveau
des unités élémentaires - compagnie
et batteries - puis au niveau collectif pour terminer
par des "grandes manœuvres" regroupant
plusieurs groupes sur un terrain montagneux.
Toute
cette période est marquée par d'incessants
déplacements en montagne, mais également des
tirs et des travaux d'infrastructure qui vont marquer le
paysage alpin et ouvrir ces vallées et leur population
à la vie moderne.
Les
unités du 14ème Corps s'entraînent sur
des terrains moins escarpés et sont regroupées
en fin d'été pour effectuer des exercices
et des manœuvres qui simulent des engagements du type
de ceux qui pourraient être les leurs en cas d'engagement
de grande envergure dans les plaines du Nord Est de la France.
C'est
également durant la belle saison, - en
dehors des périodes où l'agriculture a besoin
de bras - que les bataillons et régiments
de réserve sont mis sur pied et que les réservistes
viennent pour quelques semaines y effectuer leurs "périodes".
Les unités de réserve de Grenoble sont presque
aussi nombreuses que celles d'active 105ème R.I.
de réserve, 54ème ,68ème et 70ème
B.C.A., 4ème bataillon alpin territorial, 2ème
R.A., 12ème Bat. A.P. et 14ème Bat. Génie
de réserve.
Leur
mise sur pied participe à l'activité militaire
de la garnison.
Tenues et équipements.
Si de
nos jours les armées représentent une masse
kaki, voire camouflée, il n'en est pas de même
à la "belle époque", ou chaque
régiment se distingue assez facilement de son voisin
par la couleur et la coupe de sa tenue.
La coiffure
la plus couramment portée par les militaires français
est le képi, un peu plus bas et moins
rigide que celui que nous connaissons, sa couleur permet
de reconnaître l'arme : celui des fantassins est bleu
foncé à fond rouge, celui des autres armes
bleu foncé, en particulier pour les artilleurs, sapeurs,
tringlots et intendants.
Les
galons permettent de reconnaître les grades -
de laine pour la troupe et dorés ou argentés
pour les officiers et sous officiers. Seuls les spécialistes
de montagne, chasseurs alpins et artilleurs de montagne,
portent le vaste béret alpin, "la tarte",
fièrement incliné sur l'œil. Ils sont
assez nombreux en ville quand ils ne parcourent pas les
sommets.
Les
soldats dans les quartiers ou se déplaçant
à l'extérieur pour des corvées sont
vêtus d'une veste sombre en drap ou claire en toile
- le bourgeron - et d'un pantalon souvent
en toile claire, mais lorsqu'ils sortent en quartier libre
ou lorsqu'ils défilent ils ont beaucoup plus belle
allure en tenue de sortie.
Les
fantassins ont des épaulettes rouges, une veste
à bleue sombre col droit sous une capote bleue -
la veste se porte en tenue du matin ou en campagne sous
la capote quand il fait froid, en été ils
sortent en tunique - sanglée par un ceinturon
avec la baïonnette au coté, le pantalon est
garance, porté avec des petites guêtres
blanches sur des grosses chaussures noires.
Les
artilleurs à pieds ont des vestes, pas d'épaulettes,
le tout bleu sombre, seul le pantalon est soutaché
de rouge, le ceinturon se porte alors dessous et n'en dépasse
que le porte-baïonnette intégré.
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Képi Mle 1884 - Veste Mle 1873 - Pantalon et
brodequins du Mle1893 et jambières de celui
de 1897.
Etui musette Mle 1861 - Petit bidon de 1 litre, Mle
1877.
Ceinturon des hommes non montés de l'artillerie
avec porte baïonnette intégré
et cartouchière Mle 1893 pour 12 cartouches
de mousqueton 8 mm.
Le ceinturon est porté sous la veste, seule
la baïonnette est apparente.
Mousqueton d'Artillerie Mle 1892 et son sabre-baïonnette.
Havresac Mle 1893 avec roulée dessus la capote
Mle 1873.
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Pour la manœuvre des pièces ou leur service,
la tenue de travail est parfois portée,
soit le pantalon de treillis écru avec la veste
de drap,
soit le pantalon de treillis + le "bourgeron"
- veste de toile.
Ce document permet également de distinguer
que si la majorité des hommes
de "l'équipe de pièce"
porte le képi, l'un porte le "calot".
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Les sapeurs leur ressemblent, n'ont pas de distinctives
rouges, mais à la différence , comme les fantassins,
ont des épaulettes rouges.
Les
alpins sont vêtus du bleu soutaché de
jonquille, ou pour les artilleurs de bleu foncé aux
attributs et bandes écarlates, la vareuse-dolman
des chasseurs a un col rabattu, la veste des artilleurs
un col droit de couleur écarlate comme celle des
artilleurs à pied.
Tous
ont une large ceinture bleu de France sous leur ceinturon,
"la taillole", que seuls les
alpins parmi les troupes métropolitaines ont le droit
de porter - cette ceinture est d'habitude celle des unités
de l'Armée d'Afrique. Leur silhouette particulière
est complétée par des bandes molletières
sombres avec de solides chaussures de montagne.
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Bande
molletière en drap bleu foncé avec cachet
de réception à l'encre blanche,
Béret avec grenade en drap découpé
garance, et bâton ferré fit "Alpenstock".
M. M.
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Les
officiers portent la tenue ordinaire : pantalon et tunique
1893 - mais avec tarte et molletières - rappelant
ceux de la troupe, mais mieux taillés par les maîtres
tailleurs, en tissu plus fin, avec des bottes pour les
officiers-montés - à partir du grade de
capitaine tous les officiers sont à cheval -
avec un sabre au coté et des galons et épaulettes
dorés ou argentés.
Lorsque
les unités partent en manœuvre ou en exercice,
leurs tenues ressemblent à celles de sortie, les
éléments les plus clinquants sont supprimés
- épaulettes et équipements blancs -
elles sont complétées par des équipements
- cartouchières et bretelles de cuir noir
- et un sac impressionnant qui dépasse la tête
du soldat et qui pour les alpins, est couronné par
un grand alpenstock ainsi que le matériel d'escalade.
En revanche,
à la différence des soldats contemporains,
ceux de 1900 sont très souvent précédés
de fanfares et de musiques qui accompagnent leur marche
sur route d'airs entraînants qui attirent badauds,
enfants, chiens ; ces musiciens sont en temps de guerre
les brancardiers et nombreux sont ceux qui donneront leur
vie pour aller chercher leurs camarades sous le feu pendant
la Grande Guerre.
La vie de garnison.
La vie
grenobloise est profondément marquée par la
présence des militaires qui forment une part importante
de la population, encore plus si l'on tient compte des familles
des cadres.
L'animation
suit le rythme saisonnier des activités des unités,
calme quand elles sont hors de la garnison, en montagne
ou en manœuvre, plus soutenue lorsque toutes les troupes
sont sur place, festive et patriotique pendant les périodes
de cérémonies militaires - 14 juillet,
fêtes des différentes armes.
Sur le plan économique, cette masse de troupes fait
vivre une grande partie des grenoblois, que se soit des
gros fournisseurs de vivre ou de fourrage ou bien de plus
humbles métiers liés aux loisirs de la troupe
- cafetiers, pâtissiers, aubergistes…, des
cadres - tailleurs, libraires, restaurateurs.., mais
également des fonctionnaires dont l'effectif est
proportionnel à l'importance administrative de la
ville, importance qu'elle n'aurait pas si elle n'était
pas la "capitale militaire des Alpes".
Si les saisons sont rythmées par les militaires,
les journées le sont également : la ville
se réveille tôt au son des clairons qui provient
des nombreuses casernes que l'on trouve partout , les soldats
et cadres se déplacent de l'une à l'autre
durant la journée individuellement ou en détachements
- au pas cadencé et en armes, souvent avec leur
fanfare - à pied ou à cheval. En effet
les chevaux - et les mulets alpins - sont omniprésents.
Ceux des officiers, des trains de combat, des canons, des
chariots de toutes sortes qui accompagnent les troupes pour
porter vivres, munitions et impedimenta divers qui accompagnent
toujours les armées en déplacement. Ces équidés
sont à l'origine de quantités importantes
de crottin et de fumier, récupérés
pour engraisser les jardins et potagers qui entourent la
ville encore encerclée dans ses fortifications.
Après
la soupe, les soldats en tenue de sortie envahissent les
lieux de distraction ou tout simplement déambulent
à travers les rues et les parcs, car les appelés
sont peu argentés et pour beaucoup de ces paysans,
la grande ville est à elle seule un spectacle nouveau
qui les ravit.
Les
cadres rentrent en famille ou au cercle, et animent ensuite
la vie mondaine de la garnison - bals, concerts, bridges
ou dîners en ville sont en effet l'occasion pour la
bourgeoisie et les fonctionnaires locaux de côtoyer
les officiers peu argentés mais cultivés et
élégants dans leurs brillant uniformes. Parfois
se nouent des idylles se terminant en mariage, mais attention,
la fiancée doit apporter une dot pour que le commandement
donne son autorisation aux noces.
La
garnison au fort du Saint Eynard.
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Dans
un fort dont la mission est plus statique que dans les unités
de campagne, la vie est plus monotone, la rigueur du climat
fait qu'elle varie également au gré des saisons.
La proximité
de la grande ville, son accès somme toute assez facile,
ne lui donne pas cependant le caractère difficile
et l'ambiance "désert des Tartares"
des forts de haute altitude se trouvant sur la ligne
frontière avec l'Italie - Tarentaise, Maurienne,
Briançonnais, Ubaye, etc...
Les
fortifications de la ceinture grenobloise sont des forts
d'artillerie, équipés majoritairement des
canons de 120 ou de 155 du système
de Bange, moins modernes et surtout moins mobiles que
ceux de 75 Mle 1897 qui sont ceux des régiments d'artillerie
de campagne de toutes les brigades d'artillerie des Corps
d'Armée.
La
dotation en armement du fort est particulièrement
importante, puisque pouvant aligner entre les "traverses-abris"
supérieures, ou les emplacements de batteries situés
au bord de la falaise :
- 2 canons de 155 de siège,
- 6 canons de 120,
- 6 canons de "5",
et pour assurer la défense plus rapprochée
ou protéger le fort du Bourcet :
- 2 mortiers de "22",
- 3 de "15",
les feux de flanquement des fossés - depuis
les coffres de contrescarpe - étant sous le couvert
de 6 mitrailleuses.
Les
magasins à poudres, peuvent alors recevoir
73 800 kg. de poudre et 592 000 cartouches.
Les
personnels qui servent ces pièces proviennent des
"bataillons d'artillerie à pied" qui regroupent
de nombreuses batteries détachées dans les
garnisons où se trouvent des forts, à Grenoble
c'est - en 1900 - la 12ème batterie du 12ème
bataillon dont la portion centrale se trouve à
Briançon. Auparavant cette batterie dépendait
du 11ème de Lyon, mais celui-ci ayant quitté
la Région, toutes les batteries dépendent
alors du bataillon de Briançon.
La grande
majorité de la garnison est donc formée d'artilleurs
à pied, une section commandée par quelques
officiers et sous officiers. S'y trouvent également
en permanence des "sapeurs- télégraphistes"
du 4ème Génie chargés du fonctionnement
du poste de télégraphie
optique.
Selon
toute vraisemblance, le commandant Marchand fut le
premier commandant du fort du St Eynard.
Dés la fin de sa construction - en octobre 1879
- sa garnison se compose de :
- 436 soldats,
- 26 sous-officiers,
- 15 officiers.
Si l'infirmerie du fort peut quant à elle accueillir
24 malades, une écurie abrite
5 chevaux.
On y croise également, montés de Grenoble,
des sapeurs, des "ouvriers d'artillerie" ou
des personnels de l'Intendance qui viennent pour des missions
de réparation ou de ravitaillement avec des équipages
hippomobiles ou des mules, et après 1910 parfois
même avec des moyens automobiles.
Il arrive
également que des chasseurs alpins y fassent halte
au cours d'un déplacement en Chartreuse ou qu'une
batterie de montagne s'installe sur les emplacements de
batterie, à l'extérieur du fort, pour y effectuer
une "école à feu".
Exceptionnellement
même quelques touristes entrent dans le fort "…avec
l'autorisation du Commandant de la place pour profiter de
la vue merveilleuse".
L'absence
de logement pour les familles des cadres laisse à
penser que les unités n'y sont pas affectées
de manière permanente, mais plutôt par roulement
entre les différentes sections de la 12ème
batterie qui y restent plusieurs mois, car l'équipement
logistique - cuisines, réserves,
des marmites permettant de cuire 800 litres de soupe, un
four à pain permettant de cuire jusqu'à 350
rations, en citerne une réserve d'eau de 220 m3,
etc… - indique qu'une troupe assez nombreuse
peut-y stationner assez longtemps.
Les
télégraphistes - dont la mission est permanente
- y sont sûrement toute l'année, l'effectif
des artilleurs varie selon les saisons et les impératifs
de l'instruction.
Si
"la vue est merveilleuse", les soldats s'ennuient souvent
dans ce fort isolé, sans distraction, et à la mission très
statique d'autant que le soir les lumières de Grenoble leur
font imaginer les amusements dont peuvent profiter leurs
camarades qui ont la chance d'y être stationnés, et ils
les comparent avec les maigres douceurs que leur propose
le petit foyer du fort. Il s'y forge de solides amitiés
autour d'une chopine en fumant la pipe le soir face
au panorama grandiose des Alpes, évoquant le pays et la
"promise" qui les y attend.
Si, rares sont les photos de la garnison d'alors, celles
suivantes en témoignent quelque peu.
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Il
s'agit du 14ème bataillon du Génie en garnison
à Grenoble. Ce bataillon est le bataillon
de génie du 14ème Corps travaillant au profit
des 27ème - Grenoble - et 28ème - Chambéry
- Divisions.
Le 4ème Génie est stationné sur le
14ème C.A. mais ne dépendant pas sur le plan
commandement opérationnel du C.A. comme les B.C.A.
et les régiments d'infanterie non embrigadés
- 157ème , 158ème , 159ème. En 1900
son commandant est le Cdt Maniguet.
Sur
le détail l'on distingue le numéro du régiment
et la boucle de ceinture du Génie.
Carte postale animée avec au verso les noms des sapeurs.Collection
S. Pivot.
Photos de moindre qualité, qui toutefois précisent
l'architecture de l'entrée d'alors,
les murs de part et d'autre, la grille de première
défense, son portail. Collection S. Pivot.

La
légende manuscrite de la photo renseigne ainsi "Pied
du fort de St Enard".
L'on présume qu'il s'agit d'une unité du 140éme
R.I. car ils ont une tenue de fantassin, sont armés
du Lebel, les bandes molletières avec le képi
sont caractéristiques des R.I. des Alpes partiellement
équipés de matériel de montagne.
Les artilleurs n'auraient pas le Lebel mais le mousqueton,
pas de molletières et rarement de capote. Collection
S. Pivot.
Comme
tous leurs camarades fantassins, chasseurs, artilleurs et
sapeurs, ces soldats de Grenoble "à la
belle époque", auront l'occasion de
mettre en application sur les champs de bataille de la Grande
Guerre ce qu'ils ont appris durant leur service militaire,
avec un courage et un patriotisme qui aboutira à
la victoire de 1918.
De ceux
qui sont d'active en 1914 - c'est à dire sous
les drapeaux quand la guerre se déclare ou des réservistes
qui seront rappelés dans les unités de réserve
mises sur pied à la mobilisation - combien reviendront
dans leurs foyers ou tomberont au champ d'honneur, seules
les longues listes des monuments aux morts des petits villages
de montagne peuvent nous le dire ….
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Clin
d'il à l'histoire, lors de marches, manuvres,
raids
,
les "troupes de montagne" modernes font
halte au Saint Eynard.
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Lt-col.
(er ) Benoît Deleuze.
Remerciements
:
Uniformologie : O. Bellec.
Photos : L. Demouzon, O. Bellec, S. Pivot.
"Le fort du St Eynard" de J. Azeau.
Mise en forme du dossier : S. Pivot.
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