Grenoble et ses armées à la "belle époque".


La période appelée "belle époque" est celle qui encadre le début du XXème siècle et se termine en 1914, c'est pour le fort du St Eynard celle de sa "vie opérationnelle", il vient d'être terminé, il est équipé, occupé par les troupes qui s'entraînent pour en faire en cas de guerre un des éléments de la défense de la ville.

Depuis le désastre de 1870 et jusqu'en 1914, l'Armée Française est organisée sur le plan territorial et opérationnel d'une manière très rationnelle : la France métropolitaine est découpée en 20 régions militaires - R.M. - doublées d'un corps d'armée - C.A.

Tous sont organisés de manière identique :
- en 2 divisions d'infanterie à 2 brigades de 2 régiments,
- plus une brigade de cavalerie, également à 2 régiments,
- une brigade d'artillerie de campagne, elle aussi à 2 régiments,
- ainsi que des éléments divers de soutien et d'appui - Génie, Intendance, etc…,
pour la partie opérationnelle qui doit rejoindre les autres C.A. en cas de conflit.

La partie territoriale regroupe des unités destinées à combattre sur place, soit dynamiquement - infanterie, cavalerie - soit plus statiquement - infanterie et artillerie de forteresse, génie de place - essentiellement en armant les fortifications locales.

Toutes les unités se dédoublent, au minimum, en cas de conflit en mettant sur pied des unités de réserve de même spécialité.

Les Alpes sont alors divisées en deux R.M. / C.A. :
- le 14ème au Nord - P.C. à Lyon,
- le 15ème au Sud - PC à Marseille.

La 14ème Région / le 14ème Corps.

La garnison de Grenoble se trouve donc sur le territoire de la 14ème Région de Lyon, dont l'organisation est la suivante en 1900.

 

Le 14ème Corps d'Armée.

Ses deux divisions d'infanterie sont :
- la 27ème division à Grenoble,
- la 28ème à Chambéry, toutes deux commandées par un général de division disposant d'un état-major.

Ses brigades :
- pour la 27ème les 53ème - Grenoble - et 54ème brigade - Gap,
- pour la 28ème les 55ème - Annecy - et 56ème brigade - Chambéry, commandées par des généraux de brigade avec un petit état-major.

Chaque brigade d'infanterie est formée de deux régiments, à trois bataillons chacun :

- pour la 53ème de Grenoble ce sont le 75ème Régiment d'Infanterie - R.I. - stationné à Romans et le 140ème R.I. stationné à Grenoble.
- La 14ème brigade de Cavalerie - 4ème Dragons de Chambéry et 1er Hussards de Valence, est à Valence.

- La 14ème brigade d'Artillerie se trouve également à Grenoble - 2ème R.A. Grenoble et 6ème R.A. Valence, ainsi que le 14ème bataillon du Génie.

Troupes ne faisant pas partie du corps d'armée.

L'Infanterie est divisée en trois régiments régionaux et les chasseurs alpins.

- Ces trois R.I. sont les :
   - 157ème et le 158ème R.I. de Lyon - brigade régionale - 158ème R.I.qui en 1913, à la création du    21ème Corps, quitte les Alpes pour s'installer dans les Vosges à Bruyères et Corcieux,
   - et le 159ème R.I. de Briançon.

Quant aux chasseurs alpins - B.C.A. - ce sont les :
- 11ème - Annecy,
- 12ème - Embrun,
- 13ème - Chambéry,
- 14ème - Grenoble,
- 22ème - Albertville,
- 28ème et 30ème - Grenoble.

La Cavalerie est représentée par quatre régiments de cavalerie lourde :
- deux de cuirassiers à Lyon - les 7ème et 10ème Cuirs,
- et deux de dragons - 2ème à Lyon et 19ème à Vienne.

L'Artillerie se divise également en deux spécialités : les batteries alpines et l'artillerie à pied.

Les batteries alpines dépendent administrativement du 2ème R.A. mais sont rattachées pour emploi aux B.C.A. à raison d'une par bataillon, elles sont donc stationnées une partie de l'année à Grenoble, l'autre dans la vallée de leur B.C.A.

Le 12ème bataillon d'artillerie à pied a son P.C. à Briançon, mais il regroupe toutes les batteries qui activent les pièces des fortifications de la région, c'est ainsi que sa 12ème batterie est affectée aux fortifications de Grenoble, et donc au "Saint Eynard".

Le 4ème régiment du Génie, également en garnison à Grenoble, assure le soutien de tous les éléments ci-dessus, aussi bien en franchissement, qu'en communications et transmissions - cette arme n'existait pas et sa mission était dévolue au Génie - à travers les Alpes du Nord.

Les Troupes Alpines.

Création.

Depuis 1872 les Italiens ont créé des troupes spécialisées dans le combat en montagne, les "Alpinis" - et bien que l'Italie doive son indépendance à la France - ces troupes d'élite et un contexte international tendu inquiètent les Français qui ne prévoient pas de se battre en montagne mais à l'entrée des vallées.

 


1875 - Officiers de la 10ème compagnie de Domolossa - A.N.A. de Milan.

 


Au millésime 1873, à gauche, chapeau "Alpini" dit "alla cabrese",
à droite, képi de l'artillerie de montagne italienne - Musée de l'artillerie de Turin.


Il va falloir attendre 1888 pour que soient créées dans l'Armée Française des unités capables de se déplacer, de vivre et de combattre en montagne. Ces troupes ne sont pas mises sur pied "ex nihilo" mais à partir d'unités existantes dans les 14ème et 15ème Corps.



Rencontre à la frontière, "Bersagliers" italiens et chasseurs alpins français.

 

L'infanterie provient des bataillons de chasseurs à pied qui n'étaient pas embrigadés et faisaient fonction de réserve d'infanterie légère des C.A., et l'artillerie des 2ème et 19ème R.A. des 14ème et 15ème brigade d'Artillerie.

Les lois de création de 1888 vont, en fait, donner un équipement, une organisation et une mission particulière à 12 bataillons de chasseurs à pied et 12 batteries d'artillerie.

Mission des troupes alpines

Ces nouvelles unités ont pour mission de défendre de manière dynamique les vallées qui arrivent d'Italie, en s'y battant en altitude, sans attendre que l'ennemi n'ait atteint le bas des vallées et le Piémont.

Cet engagement doit être interarmes et combiner le feu et le mouvement. Les nouvelles troupes doivent donc pouvoir déplacer, vivre en altitude, connaître parfaitement le terrain sur lequel elles vont s'engager.

Organisation des groupes alpins

Pour remplir cette mission il a été prévu de créer des "groupes alpins", unités interarmes très novatrices puisque, nous l'avons vu, il n'est pas prévu à cette époque d'engagement d'unités de diverses armes en dessous du niveau division.

En revanche dans un "groupe alpin" sont regroupés :
- un B.C.A. - cinq compagnies d'infanterie,
- une batterie d'artillerie de montagne - à six piècesde "80 de Bange", puis de "65 de montagne".
- un détachement de pionniers - sapeurs du Génie spécialisés dans le franchissement et les télécommunications.
Parmi tous ces hommes sont choisis les meilleurs montagnards qui forment "l'escouade franche", véritables commandos et éclaireurs avant l'heure, spécialistes des déplacements difficiles et des coups de main.



Reconstitution, association "Tempête sur les Alpes".


Il a été spécialisé 12 B.C.A. car il n'y a que 12 B.C.P. à disposition dans les deux C.A., mais comme il y a 13 vallées à défendre ; on créé donc une 13ème batterie et un bataillon du 97ème R.I. de Chambéry reçoit la même mission que les 12 B.C.A. pour former un 13ème groupe alpin en Maurienne. Equipé comme les B.C.A. mais restant en tenue d'infanterie - vareuse bleu foncé de l'infanterie à l'origine, puis la vareuse-dolman 1891 des B.C.A. à partir de 1904, et pantalon garance - et non en bleu comme les chasseurs, il prendra l'appellation d'infanterie alpine".

Equipement des alpins.

Les chasseurs n'avaient pas attendu la loi pour trouver le chemin de la montagne et plusieurs de ces unités stationnées déjà dans les Alpes s'y entraînaient et avaient testé les équipements pour s'y déplacer - le 12ème B.C.A. avait été nommé membre du Club Alpin Français.

Ils vont donc être équipés de ce qui se fait de mieux à l'époque en matière de matériel de montagne : chaussures à clous "ailes de mouche",- à priori ces clous dits plus vulgairement "clous savoyards", qui ne mordent pas sur l'épaisseur de la semelle, ne seront réglementaires qu'à partir de 1935. A l'époque, la base est le brodequin 1893, puis 1912, qui peut être parfois muni d'un cloutage renforcé par une plus grande quantité de clous - havresac du modèle général, bandes molletières, vestes courtes avec large ceinture de flanelle, la "taillolle", alpenstocks, solides cordes, manteau à capuchon…

Leur silhouette se différencie du reste de l'armée par leur coiffure originale, ils abandonnent le traditionnel képi qui ne différencie les armes que par la couleur, au profit d'un vaste béret bientôt appelé "tarte" qui les met à l'abri des intempéries et qui restera la distinctive de la spécialité alpine à travers les temps pour toutes les unités de montagne françaises.

 


Rare photo de 1888 / 89 de la première tenue B.A.C.P.
Si l'on distingue encore la présence de la capeline caractéristique des chasseurs,
les cartouchières de l'ancien modèle, par contre "la tarte",
les bandes molletières, la "taillolle" et l'équipement spécifique sont déjà présents.
Fond L. Demouzon.




1892 - 22ème B.A.C.P. - Albertville. L'intérêt de ce cliché : les chasseurs viennent de toucher
la nouvelle vareuse "Dolman Mle1891", ainsi que le nouveau pantalon - Fond L. Demouzon.




Si l'armement des fantassins reste le même que celui des autres unités de l'arme , en revanche, les artilleurs de montagne sont équipés d'une artillerie spéciale qui a déjà fait ses preuves dans des campagnes outre mer, il s'agit du canon de montagne.

C'est tout d'abord un "80 de montagne" du système de Bange, puis vers 1900, un nouveau "65 de montagne à tir rapide". Afin de passer au dessus des crêtes, d'atteindre des objectifs "défilés", ces pièces ont pour caractéristique de pouvoir tirer sous des angles très élevés, mais surtout, de se démonter en plusieurs fardeaux portés par des mules.

En effet, une autre des caractéristiques des troupes de montagne, comme dans toutes les armées du monde qui en sont dotées, est d'être pourvue d'un "train muletier" important, chargé de fournir tout le train de combat des B.C.A. et des batteries alpines .Cette dotation est d'ailleurs l'un des points qui figure dans la loi de 1888 qui les crée.



Traversée du col de la Vanoise par un régiment d'artillerie de montagne. Fond O. Bellec.

 



Train muletier d'artillerie de la pièce de montagne de "80 de Bange".
La "Miaule" du centre, sur son bât, emporte l'affût, ses roues et la "limonière".
Fond S. Pivot.


Les unités de forteresse de montagne.

Bien qu'ayant des missions plus statiques, d'autres unités sont stationnées en altitude, et peu à peu vont être équipées comme les chasseurs alpins et les artilleurs de montagne, ce sont essentiellement les fantassins des régiments qui occupent les forteresses d'altitude et les artilleurs des pièces qui les arment.

Pour l'Infanterie, les 157ème ,158ème et surtout le 159ème R.I. subissent cette transformation en alpin.



1900 - Mont Dauphin - entre les traverses-abris, batteries sous la neige - Fond L. Demouzon.


Restant dés la fin du siècle dans les forts toute l'année - alors que durant l'hiver les groupes alpins redescendent dans leurs garnisons de la vallée - ce sont eux qui seront les précurseurs du ski militaire, et même du ski en France.

Les artilleurs de certaines batteries de fortifications d'accès difficile le seront également, mais ceux du fort du Saint Eynard, par la proximité de la ville de Grenoble et les possibilités de s'y rendre facilement resteront équipés comme leurs camarades des autres bataillons d'artillerie à pied - cette appellation inusitée dans l'artillerie de campagne est utilisée dans cette spécialité.

 

La vie militaire a Grenoble.1

Le détail des unités et états-majors stationnés à Grenoble donné ci-dessus justifie bien le titre dont cette ville aime bien se parer, en ce début de XX° siècle elle est effectivement dans le domaine militaire tout au moins "la capitale des Alpes".

C'est une très grosse ville de garnison, et l'on peut même dire que les militaires représentent la plus grande activité de la ville, son expansion industrielle viendra plus tard, pendant et à cause de la Grande Guerre.

Rappel des unités grenobloises en 1900

Il y a d'abord plusieurs généraux et leurs états-majors :
- ceux de la 27ème division d'infanterie,
- de la 53ème brigade d'infanterie,
- de la 14ème brigade d'artillerie,
- et du gouverneur des places fortes.

L'Infanterie est représentée par :
- le 140ème R.I., les 14ème ,28ème et 30ème B.C.A.,
- le Génie par le 14ème bataillon et le 4ème régiment du Génie.

L'Artillerie :
- par une école d'artillerie - à l'emplacement de l'ex mess de garnison,
- le 2ème R.A., auquel est rattaché le groupe des 8 batteries alpines, et la 12ème batterie du 12ème bataillon d'artillerie à pied qui fournit les artilleurs des forts.

Il convient d'y rajouter un hôpital militaire et les nombreuses formations des services, dont un conseil de guerre, qu'exige un tel rassemblement de troupes pour vivre et se préparer au combat.

Ainsi en 1906, pour une ville de 73 000 habitants,
entre le tiers et le quart de la population est en uniforme !!!

Une armée de conscription.

A l'exception des cadres officiers et sous-officiers, la grande majorité des militaires sont des appelés.

En effet, après la guerre de 1870 - qui a démontré par la défaite la supériorité d'une armée de conscription sur une armée de métier - la France a une armée d'appelés qui doivent une période d'active de un à trois ans suivant les périodes, et de nombreuses années dans des formations de réserve puis de territoriale.

L'opinion publique - et par là le monde politique - est très intéressée par la "chose militaire", aussi les débats parlementaires sur la durée de ce service vont être l'objet de nombreuses polémiques durant toute cette "belle époque".

A la veille de la guerre - 1913 - la durée de celui-ci passe à trois ans pour la plus grande majorité de la population masculine. La durée du temps passé sous les drapeaux, son caractère universel et la présence de troupes nombreuses font que tous les civils connaissent bien mieux les armées que de nos jours, ils déterminent sans se tromper les grades et les différentes subdivisions d'armes, aidés en celà par les différents uniformes qui ne permettent pas de confondre un dragon avec un cuirassier ou un chasseur avec un artilleur.

Une armée vivant au rythme des saisons.

La durée du service, mais surtout dans les Alpes, la tyrannie de la météorologie, font que la vie des unités, et donc la vie de la garnison, suit le rythme des saisons.

A l'automne, les jeunes conscrits arrivent dans les casernes et quartiers pour être incorporés et y effectuer leur instruction de base, "les classes", dans les cours des casernes et dans les terrains d'instruction proches de celles-ci. Tous apprennent à marcher au pas, connaître les bases de la vie militaire, tirer aux armes légères - fusil Lebel pour les fantassins et mousqueton pour les armes portées et artilleurs - à monter à cheval pour les unités "montées" et effectuent les premières grandes marches.

Puis les armes dites "savantes" - Artillerie et Génie - découvrent les rudiments de leur nouveau métier sur les "polygones" d'entraînement de la Garnison.

Les beaux jours arrivant, les fortifications - laissées sous occupées durant la saison neigeuse - sont réoccupées et l'entraînement collectif s'y poursuit pendant toute la belle saison. Les groupes alpins se reforment au printemps, les chasseurs retrouvent leurs batteries de montagne et leurs pionniers, quittent la plaine pour rejoindre "leur vallée". Ils vont s'y entraîner jusqu'à l'arrivée des premières neiges en travaillant d'abord au niveau des unités élémentaires - compagnie et batteries - puis au niveau collectif pour terminer par des "grandes manœuvres" regroupant plusieurs groupes sur un terrain montagneux.

Toute cette période est marquée par d'incessants déplacements en montagne, mais également des tirs et des travaux d'infrastructure qui vont marquer le paysage alpin et ouvrir ces vallées et leur population à la vie moderne.

Les unités du 14ème Corps s'entraînent sur des terrains moins escarpés et sont regroupées en fin d'été pour effectuer des exercices et des manœuvres qui simulent des engagements du type de ceux qui pourraient être les leurs en cas d'engagement de grande envergure dans les plaines du Nord Est de la France.

C'est également durant la belle saison, - en dehors des périodes où l'agriculture a besoin de bras - que les bataillons et régiments de réserve sont mis sur pied et que les réservistes viennent pour quelques semaines y effectuer leurs "périodes". Les unités de réserve de Grenoble sont presque aussi nombreuses que celles d'active 105ème R.I. de réserve, 54ème ,68ème et 70ème B.C.A., 4ème bataillon alpin territorial, 2ème R.A., 12ème Bat. A.P. et 14ème Bat. Génie de réserve.

Leur mise sur pied participe à l'activité militaire de la garnison.

Tenues et équipements.

Si de nos jours les armées représentent une masse kaki, voire camouflée, il n'en est pas de même à la "belle époque", ou chaque régiment se distingue assez facilement de son voisin par la couleur et la coupe de sa tenue.

La coiffure la plus couramment portée par les militaires français est le képi, un peu plus bas et moins rigide que celui que nous connaissons, sa couleur permet de reconnaître l'arme : celui des fantassins est bleu foncé à fond rouge, celui des autres armes bleu foncé, en particulier pour les artilleurs, sapeurs, tringlots et intendants.

Les galons permettent de reconnaître les grades - de laine pour la troupe et dorés ou argentés pour les officiers et sous officiers. Seuls les spécialistes de montagne, chasseurs alpins et artilleurs de montagne, portent le vaste béret alpin, "la tarte", fièrement incliné sur l'œil. Ils sont assez nombreux en ville quand ils ne parcourent pas les sommets.

Les soldats dans les quartiers ou se déplaçant à l'extérieur pour des corvées sont vêtus d'une veste sombre en drap ou claire en toile - le bourgeron - et d'un pantalon souvent en toile claire, mais lorsqu'ils sortent en quartier libre ou lorsqu'ils défilent ils ont beaucoup plus belle allure en tenue de sortie.

Les fantassins ont des épaulettes rouges, une veste à bleue sombre col droit sous une capote bleue - la veste se porte en tenue du matin ou en campagne sous la capote quand il fait froid, en été ils sortent en tunique - sanglée par un ceinturon avec la baïonnette au coté, le pantalon est garance, porté avec des petites guêtres blanches sur des grosses chaussures noires.

Les artilleurs à pieds ont des vestes, pas d'épaulettes, le tout bleu sombre, seul le pantalon est soutaché de rouge, le ceinturon se porte alors dessous et n'en dépasse que le porte-baïonnette intégré.



Képi Mle 1884 - Veste Mle 1873 - Pantalon et brodequins du Mle1893 et jambières de celui de 1897.
Etui musette Mle 1861 - Petit bidon de 1 litre, Mle 1877.
Ceinturon des hommes non montés de l'artillerie avec porte baïonnette intégré
et cartouchière Mle 1893 pour 12 cartouches de mousqueton 8 mm.
Le ceinturon est porté sous la veste, seule la baïonnette est apparente.
Mousqueton d'Artillerie Mle 1892 et son sabre-baïonnette.
Havresac Mle 1893 avec roulée dessus la capote Mle 1873.




Pour la manœuvre des pièces ou leur service, la tenue de travail est parfois portée,
soit le pantalon de treillis écru avec la veste de drap,
soit le pantalon de treillis + le "bourgeron" - veste de toile.
Ce document permet également de distinguer que si la majorité des hommes
de "l'équipe de pièce" porte le képi, l'un porte le "calot".



Les sapeurs leur ressemblent, n'ont pas de distinctives rouges, mais à la différence , comme les fantassins, ont des épaulettes rouges.

Les alpins sont vêtus du bleu soutaché de jonquille, ou pour les artilleurs de bleu foncé aux attributs et bandes écarlates, la vareuse-dolman des chasseurs a un col rabattu, la veste des artilleurs un col droit de couleur écarlate comme celle des artilleurs à pied.

Tous ont une large ceinture bleu de France sous leur ceinturon, "la taillole", que seuls les alpins parmi les troupes métropolitaines ont le droit de porter - cette ceinture est d'habitude celle des unités de l'Armée d'Afrique. Leur silhouette particulière est complétée par des bandes molletières sombres avec de solides chaussures de montagne.


Bande molletière en drap bleu foncé avec cachet de réception à l'encre blanche,
Béret avec grenade en drap découpé garance, et bâton ferré fit "Alpenstock". M. M.


Les officiers portent la tenue ordinaire : pantalon et tunique 1893 - mais avec tarte et molletières - rappelant ceux de la troupe, mais mieux taillés par les maîtres tailleurs, en tissu plus fin, avec des bottes pour les officiers-montés - à partir du grade de capitaine tous les officiers sont à cheval - avec un sabre au coté et des galons et épaulettes dorés ou argentés.

Lorsque les unités partent en manœuvre ou en exercice, leurs tenues ressemblent à celles de sortie, les éléments les plus clinquants sont supprimés - épaulettes et équipements blancs - elles sont complétées par des équipements - cartouchières et bretelles de cuir noir - et un sac impressionnant qui dépasse la tête du soldat et qui pour les alpins, est couronné par un grand alpenstock ainsi que le matériel d'escalade.

En revanche, à la différence des soldats contemporains, ceux de 1900 sont très souvent précédés de fanfares et de musiques qui accompagnent leur marche sur route d'airs entraînants qui attirent badauds, enfants, chiens ; ces musiciens sont en temps de guerre les brancardiers et nombreux sont ceux qui donneront leur vie pour aller chercher leurs camarades sous le feu pendant la Grande Guerre.

La vie de garnison.

La vie grenobloise est profondément marquée par la présence des militaires qui forment une part importante de la population, encore plus si l'on tient compte des familles des cadres.

L'animation suit le rythme saisonnier des activités des unités, calme quand elles sont hors de la garnison, en montagne ou en manœuvre, plus soutenue lorsque toutes les troupes sont sur place, festive et patriotique pendant les périodes de cérémonies militaires - 14 juillet, fêtes des différentes armes.



Sur le plan économique, cette masse de troupes fait vivre une grande partie des grenoblois, que se soit des gros fournisseurs de vivre ou de fourrage ou bien de plus humbles métiers liés aux loisirs de la troupe - cafetiers, pâtissiers, aubergistes…, des cadres - tailleurs, libraires, restaurateurs.., mais également des fonctionnaires dont l'effectif est proportionnel à l'importance administrative de la ville, importance qu'elle n'aurait pas si elle n'était pas la "capitale militaire des Alpes".


 


Si les saisons sont rythmées par les militaires, les journées le sont également : la ville se réveille tôt au son des clairons qui provient des nombreuses casernes que l'on trouve partout , les soldats et cadres se déplacent de l'une à l'autre durant la journée individuellement ou en détachements - au pas cadencé et en armes, souvent avec leur fanfare - à pied ou à cheval. En effet les chevaux - et les mulets alpins - sont omniprésents. Ceux des officiers, des trains de combat, des canons, des chariots de toutes sortes qui accompagnent les troupes pour porter vivres, munitions et impedimenta divers qui accompagnent toujours les armées en déplacement. Ces équidés sont à l'origine de quantités importantes de crottin et de fumier, récupérés pour engraisser les jardins et potagers qui entourent la ville encore encerclée dans ses fortifications.

Après la soupe, les soldats en tenue de sortie envahissent les lieux de distraction ou tout simplement déambulent à travers les rues et les parcs, car les appelés sont peu argentés et pour beaucoup de ces paysans, la grande ville est à elle seule un spectacle nouveau qui les ravit.

Les cadres rentrent en famille ou au cercle, et animent ensuite la vie mondaine de la garnison - bals, concerts, bridges ou dîners en ville sont en effet l'occasion pour la bourgeoisie et les fonctionnaires locaux de côtoyer les officiers peu argentés mais cultivés et élégants dans leurs brillant uniformes. Parfois se nouent des idylles se terminant en mariage, mais attention, la fiancée doit apporter une dot pour que le commandement donne son autorisation aux noces.

 

La garnison au fort du Saint Eynard.

Dans un fort dont la mission est plus statique que dans les unités de campagne, la vie est plus monotone, la rigueur du climat fait qu'elle varie également au gré des saisons.

La proximité de la grande ville, son accès somme toute assez facile, ne lui donne pas cependant le caractère difficile et l'ambiance "désert des Tartares" des forts de haute altitude se trouvant sur la ligne frontière avec l'Italie - Tarentaise, Maurienne, Briançonnais, Ubaye, etc...

Les fortifications de la ceinture grenobloise sont des forts d'artillerie, équipés majoritairement des canons de 120 ou de 155 du système de Bange, moins modernes et surtout moins mobiles que ceux de 75 Mle 1897 qui sont ceux des régiments d'artillerie de campagne de toutes les brigades d'artillerie des Corps d'Armée.

La dotation en armement du fort est particulièrement importante, puisque pouvant aligner entre les "traverses-abris" supérieures, ou les emplacements de batteries situés au bord de la falaise :
- 2 canons de 155 de siège,
- 6 canons de 120,
- 6 canons de "5",
et pour assurer la défense plus rapprochée ou protéger le fort du Bourcet :
- 2 mortiers de "22",
- 3 de "15",
les feux de flanquement des fossés - depuis les coffres de contrescarpe - étant sous le couvert de 6 mitrailleuses.

Les magasins à poudres, peuvent alors recevoir 73 800 kg. de poudre et 592 000 cartouches.

Les personnels qui servent ces pièces proviennent des "bataillons d'artillerie à pied" qui regroupent de nombreuses batteries détachées dans les garnisons où se trouvent des forts, à Grenoble c'est - en 1900 - la 12ème batterie du 12ème bataillon dont la portion centrale se trouve à Briançon. Auparavant cette batterie dépendait du 11ème de Lyon, mais celui-ci ayant quitté la Région, toutes les batteries dépendent alors du bataillon de Briançon.

La grande majorité de la garnison est donc formée d'artilleurs à pied, une section commandée par quelques officiers et sous officiers. S'y trouvent également en permanence des "sapeurs- télégraphistes" du 4ème Génie chargés du fonctionnement du poste de télégraphie optique.

Selon toute vraisemblance, le commandant Marchand fut le premier commandant du fort du St Eynard.



Dés la fin de sa construction - en octobre 1879 - sa garnison se compose de :
- 436 soldats,
- 26 sous-officiers,
- 15 officiers.
Si l'infirmerie du fort peut quant à elle accueillir 24 malades, une écurie abrite
5 chevaux.

De gauche à droite, artilleur du 11ème R.A.P., puis sergent du 2ème R.A.M., et tenue d'un sergent du 12ème Bataillon d'Artillerie de Forteresse ayant appartenu à la même personne. Ainsi le dolman est du Mle 1872 qui continuera à être porté jusqu'en 1906, théoriquement et pratiquement jusqu'en 1914 ! On reconnaît les pattes de collet spécifiques de l'Artillerie de forteresse à leur forme arrondie vers le collet. Le képi 1884 troupe a été muni d'une fausse jugulaire en trait cotliné or admissible pour un sergent. Le propriétaire de cette tenue était stationné au fort du Replaton à Modane. Mannequins et fond O. Bellec.


On y croise également, montés de Grenoble, des sapeurs, des "ouvriers d'artillerie" ou des personnels de l'Intendance qui viennent pour des missions de réparation ou de ravitaillement avec des équipages hippomobiles ou des mules, et après 1910 parfois même avec des moyens automobiles.

Il arrive également que des chasseurs alpins y fassent halte au cours d'un déplacement en Chartreuse ou qu'une batterie de montagne s'installe sur les emplacements de batterie, à l'extérieur du fort, pour y effectuer une "école à feu".

Exceptionnellement même quelques touristes entrent dans le fort "…avec l'autorisation du Commandant de la place pour profiter de la vue merveilleuse".

L'absence de logement pour les familles des cadres laisse à penser que les unités n'y sont pas affectées de manière permanente, mais plutôt par roulement entre les différentes sections de la 12ème batterie qui y restent plusieurs mois, car l'équipement logistique - cuisines, réserves, des marmites permettant de cuire 800 litres de soupe, un four à pain permettant de cuire jusqu'à 350 rations, en citerne une réserve d'eau de 220 m3, etc… - indique qu'une troupe assez nombreuse peut-y stationner assez longtemps.

Les télégraphistes - dont la mission est permanente - y sont sûrement toute l'année, l'effectif des artilleurs varie selon les saisons et les impératifs de l'instruction.

Si "la vue est merveilleuse", les soldats s'ennuient souvent dans ce fort isolé, sans distraction, et à la mission très statique d'autant que le soir les lumières de Grenoble leur font imaginer les amusements dont peuvent profiter leurs camarades qui ont la chance d'y être stationnés, et ils les comparent avec les maigres douceurs que leur propose le petit foyer du fort. Il s'y forge de solides amitiés autour d'une chopine en fumant la pipe le soir face au panorama grandiose des Alpes, évoquant le pays et la "promise" qui les y attend.

Si, rares sont les photos de la garnison d'alors, celles suivantes en témoignent quelque peu.

Il s'agit du 14ème bataillon du Génie en garnison à Grenoble. Ce bataillon est le bataillon
de génie du 14ème Corps travaillant au profit des 27ème - Grenoble - et 28ème - Chambéry - Divisions.
Le 4ème Génie est stationné sur le 14ème C.A. mais ne dépendant pas sur le plan commandement opérationnel du C.A. comme les B.C.A. et les régiments d'infanterie non embrigadés
- 157ème , 158ème , 159ème. En 1900 son commandant est le Cdt Maniguet.

Sur le détail l'on distingue le numéro du régiment et la boucle de ceinture du Génie.
Carte postale animée avec au verso les noms des sapeurs.Collection S. Pivot.


Photos de moindre qualité, qui toutefois précisent l'architecture de l'entrée d'alors,
les murs de part et d'autre, la grille de première défense, son portail. Collection S. Pivot.

La légende manuscrite de la photo renseigne ainsi "Pied du fort de St Enard".
L'on présume qu'il s'agit d'une unité du 140éme R.I. car ils ont une tenue de fantassin, sont armés du Lebel, les bandes molletières avec le képi sont caractéristiques des R.I. des Alpes partiellement équipés de matériel de montagne.
Les artilleurs n'auraient pas le Lebel mais le mousqueton, pas de molletières et rarement de capote. Collection S. Pivot.


Comme tous leurs camarades fantassins, chasseurs, artilleurs et sapeurs, ces soldats de Grenoble "à la belle époque", auront l'occasion de mettre en application sur les champs de bataille de la Grande Guerre ce qu'ils ont appris durant leur service militaire, avec un courage et un patriotisme qui aboutira à la victoire de 1918.

De ceux qui sont d'active en 1914 - c'est à dire sous les drapeaux quand la guerre se déclare ou des réservistes qui seront rappelés dans les unités de réserve mises sur pied à la mobilisation - combien reviendront dans leurs foyers ou tomberont au champ d'honneur, seules les longues listes des monuments aux morts des petits villages de montagne peuvent nous le dire ….

Clin d'œil à l'histoire, lors de marches, manœuvres, raids…,
les "troupes de montagne" modernes font halte au Saint Eynard.


Lt-col. (er ) Benoît Deleuze.

Remerciements :
Uniformologie : O. Bellec.
Photos : L. Demouzon, O. Bellec, S. Pivot.
"Le fort du St Eynard" de J. Azeau.
Mise en forme du dossier : S. Pivot.


—————————————————
1 - Les unités qui sont citées sont celles qui stationnent effectivement en 1900 dans la ville, leur nombre et leur type a été le même durant toute le période mais certains numéros ont changé à certains moments sans que cela change l'organisation et les effectifs.



 

 
Revenir à l'ACCUEIL